On l’attendait sur l’attentat du 8/8, l’Imam de la mosquée centrale de Nouakchott a préféré faire son prêche – sa khoutba – sur la nomination des femmes aux postes ministériels. Et c’est parce qu’il s’agit de la khoutba de l’Imam en chef – pour sa fonction à la capitale et par le fait qu’il est le seul dont le prêche est transmis par la radio et la télévision nationales – que nous jugeons les propos très graves. En substance : la femme n’a pas le droit d’accéder aux hautes fonctions de l’Etat ; elle ne doit jamais voyager sans son tuteur ; l’autorité, avant de prendre une décision telle celle de nommer des femmes, devait demander l’avis des érudits... bref.
Il nous semble que le temps est venu de faire face à cette nouvelle idéologie qui fait l’affaire de certains de nos érudits et Imams. Mais qui annonce pour nous un chaos certain. Ce n’est pas parce que le statut d’Imam vous procure une certaine immunité et un respect, qu’il ne faille pas discuter et porter la contradiction à des propos dangereux dans leur forme et dans leur fond(s).
D’abord l’opportunité. Ce prêche intervient au lendemain de la nomination d’un gouvernement ou l’on compte au moins six femmes. Toutes à des postes «valorisateurs» : affaires étrangères, fonction publique, culture et sports, conseillère à la présidence, affaires sociales et famille, investissements… Au lendemain aussi de l’opération kamikaze de Mohamed Ould Alioune, militant salafiste jihadiste. On attendait une ferme condamnation de l’acte, des propositions pour éradiquer le phénomène, une stigmatisation religieuse de la philosophie… ce n’était visiblement pas le moment pour l’Imam de la mosquée principale de Nouakchott. Non ! L’heure n’était pas suffisamment grave pour déterrer une vieille polémique qui a, pendant longtemps, paralysé le monde musulman l’amenant à passer à côté de la modernité alors qu’il en était le concepteur et le promoteur.
Sous nos cieux, les Erudits n’ont jamais contesté à la femme le rôle qui doit être le sien dans une société toujours en quête d’un meilleur être. Il suffit pour cela de rappeler qu’aucune porte n’a jamais été fermée devant la femme dans cette société. Aucun Erudit de notoriété ne s’est offusqué devant les compétences et la place qu’a toujours occupée la femme dans notre société bédouine.
Au-delà des aspects «savants» du propos, nous nous en tiendrons à leur implication. Un kamikaze verrait aujourd’hui dans ces propos le justificatif religieux de faire de l’une des ministres une cible. Rien ne l’empêche quand l’Imam qui est supposé être «le chef des Imams» affirme qu’elle transgresse tous les interdits religieux en remplissant ses fonctions.
…Quand j’ai commencé à écrire ces lignes, j’étais en proie aux pires réflexions, j’étais capable de produire un discours violent et sans retenue. Je m’étais arrêté «pour une raison technique». Et j’ai suivi entre-temps un entretien à TVM avec le vénérable Cheikh Abdullah Ould Boye… et je me suis calmé. En partie, mon état d’âme était dicté par l’absence définitive de Lemrabott Mohamed Salem Ould Addoud, de Limam Bouddah Ould Bouçeyri...
Avec Cheikh Abdullah, je me rendais compte que nous avions encore «al ustaadh» Hamden Ould Tah – je choisis ce titre pour souligner le côté didactique et pédagogique de son discours -, Lemrabott El Haj Ould Vahfou, Cheikh Abdoul Aziz Sy, Cheikh Mohamd el Hacen Ould Dedew… à l’évocation de ce nom, je ne peux m’empêcher de me remémorer les temps de la chasse aux érudits, imams et militants réformistes. Où était l’Imam de Nouakchott à ce moment-là ? Avait-il dénoncé les arrestations arbitraires des notables religieux ? Avait-il justifié plutôt qu’on s’en prenne à eux ? Et en 1989, quand feu Limam Bouddah Ould Bouçeyri refusait de bénir ce qui se passait, où était notre Imam actuel ? A ce moment-là pourtant des morts tombaient dans les rues de Nouakchott, en plein Ramadan – circonstance aggravante. Où était-il en 1990, 91, 92, 93… quand on tuait en silence des innocents, quand on en emprisonnait, quand on les excluait ? Où était-il quand le bien public – qui est aussi celui de la communauté musulmane que nous sommes – était dilapidé publiquement ? quand les uns volaient ? quand les autres mentaient ?
L’exercice de l’arbitraire au quotidien (ou par intermittence), le vol du «bayt maal el muslimiine», la guerre contre les symboles du pays, contre la société… tout cela n’émeut pas notre Imam. Par contre la nomination d’une femme à un poste de responsabilité, cela ne passe pas. Nous avons choisi pour nous un modèle de société qui promeut notre ancrage religieux et donc culturel. Nous avons choisi la modernité à l’archaïsme. Nous pensons avoir pour sève nourricière l’héritage d’une culture islamique profondément humaniste et ouverte. Force aujourd’hui de se rendre compte qu’il y a des Mauritaniens de notoriété – ou pas – qui n’adoptent ce projet, qui le combattent plutôt. Les uns en posant des bombes, les autres en utilisant le verbe. Les deux faces d’une même monnaie… une monnaie qui ne doit plus avoir cours chez nous… les économistes nous disent que «la mauvaise monnaie chasse la bonne»… cherchons à inverser cette loi.
Réhabilitons notre culture faite de foi profonde et de tolérance. Apprenons à redonner la parole à nos Erudits. Ceux qui, tout en restant intransigeant vis-à-vis d’eux-mêmes, nous pardonnent notre «humanité». Mais d’abord combattons les déviants.
Mohamed Fall Ould Oumère La Tribune n°465, du lundi 17 août 2009
© La Tribune - Août 2009
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