mercredi 29 avril 2009

Editorial d'Ahmed Ould Cheikh : Lettre à Messaoud Ould Boulkheïr












Longtemps en froid avec le Calame, à cause d’un malentendu, datant de 1996, lorsqu’un de nos journalistes vous demanda si vous n’avez pas bénéficié d’un vote «identitaire», lors des législatives de cette année-là, vous ne vous êtes réconcilié avec notre journal qu’il y a quelques semaines. C’était à l’occasion d’une interview que vous nous avez accordée et au cours de laquelle nous avons décidé, d’un commun accord, de tourner la page du passé.

Etant donc redevenus amis, je me permets de vous écrire cette lettre pour rappeler à nos lecteurs quelques aspects de votre riche carrière politique – à elle seule, c’est un aperçu, détaillé, des événements qu’a connus le pays au cours des vingt cinq dernières années – et rendre hommage au combat que vous menez, contre l’arbitraire, notamment depuis le 6 août dernier.


Petit rappel historique, donc, pour commencer.


Vous fûtes le premier haratine à entrer en 1984 au gouvernement de la République islamique de Mauritanie, pourtant indépendante depuis 1960. C’était au lendemain du coup d’Etat qui avait porté Maaouya au pouvoir.

Vous étiez alors wali du Gorgol, après avoir gravi tous les échelons de la hiérarchie administrative, non sans avoir connu quelques injustices, comme lorsque vous fûtes affecté au poste de… secrétaire d’un préfet, pourtant collègue d’une même promotion de l’ENA.

Vous êtes resté trois ans aux côtés du colonel. L’expérience que vous y avez vécue a permis de briser un tabou et de vous faire connaître du grand public. Vous avez, alors, pris goût à la politique. Et en décembre 90, vous vous lancez à la conquête de la mairie de Nouakchott. Un challenge que vous avez failli gagner, n’eût été l’intervention, flagrante, du pouvoir, en faveur d’un candidat autour duquel se sont également liguées les forces traditionnelles. Mais l’amertume de la défaite ne vous a pas découragé.

Avec un discours centré sur les thèmes porteurs que sont les inégalités sociales, l’esclavage et l’injustice, vous êtes devenu un symbole pour la communauté haratine et pour tous les laissés pour compte. Vous n’étiez pourtant qu’au tout début de votre combat.

En 1991, vous prenez une part, active, à la naissance du FDUC, le Front des Démocrates Unis pour le Changement, un conglomérat comprenant une aile du mouvement El Hor, d’anciens Kadihines, des Négro-mauritaniens et des personnalités indépendantes. Le Front réclame, ouvertement, la démocratisation du régime. Enorme, à l’époque, le pavé dans la mare.

Ould Taya, échaudé par l’expérience malienne et craignant que son régime ne s’effondre, devant la pousse intérieure, annonce l’avènement du multipartisme, en avril 1991. Vous fondez, alors, avec vos amis du FDUC, l’Union des Forces Démocratiques, l’UFD, qui sera, pendant de longues années, le symbole de l’opposition au régime d’Ould Taya.

A la présidentielle de 92 et après de longs débats, parfois houleux, votre parti décide de se ranger sous la bannière du candidat indépendant Ahmed Ould Daddah, un fonctionnaire international qui venait de rentrer, de Bangui, pour croiser le fer avec Maaouya. Vous auriez voulu aller vous-même à la bataille mais la majorité de votre parti pensait que ce candidat avait les meilleures chances de battre Ould Taya.

Vous vous êtes rangé derrière l’avis de la majorité, non sans quelques grincements de dents, mais, une fois engagé, vous avez mené, pour lui, une franche campagne, sans équivoque. Vous avez démontré, à cette occasion, d’énormes capacités de mobilisation.

Votre style direct et vos phrases assassines, qui tranchent avec le style, aseptisé, des politiques, ont fait, de vous, un véritable pourfendeur du régime en place. Mais la lune de miel avec Ould Daddah, coopté, quelques mois après la présidentielle, pour diriger l’UFD, affublée, désormais, de l’appendice «Ere nouvelle», ne durera pas une éternité. Les mauvaises langues disent que vous ne lui pardonniez pas de vous avoir ravi la vedette, lors de la présidentielle.

Toujours est-il que vous ne tardez pas à mettre en place, avec quelques uns de vos partisans, un comité de crise, au sein de l’UFD, avant de décider de plier bagage et de fonder votre propre parti, Action pour le Changement (AC). Première fissure, au sein du plus grand parti d’opposition : elle ne sera pas la dernière. Après l’interdiction d’AC, vous vous rabattez sur l’Alliance Populaire Progressiste (APP), un petit parti d’obédience nassériste qui vous accueille, à bras ouverts, et fait de vous son président.

A la chute de Maaouya, en 2005, alors que les partis politiques de l’ancienne majorité et de l’opposition se jettent dans les bras des militaires, vous réclamez, pour gérer la transition, un gouvernement d’union nationale. Et, au vu de la suite, vous aviez, parfaitement, raison. Les militaires, qui avaient décidé de ne pas se présenter, feront tout pour écraser les partis «fossiles», en encourageant les candidatures indépendantes, dont celle de Sidi Ould Cheikh Abdallahi à la présidentielle.

Une situation que nous n’avez cessé de dénoncer, jusqu’à ce fameux jour de mars 2007 où, contre toute attente, vous appelez à voter pour Sidi, au second tour, contre Ould Daddah. La nouvelle fait l’effet d’une bombe. Comment un leader de l’opposition comme vous peut-il abandonner celui qui fut, pendant 16 ans, son compagnon de lutte, au profit d’un homme qu’il traitait, quelques jours auparavant, «d’homme de paille des militaires, soutenu par les symboles du régime d’Ould Taya»?

Malgré tous les éclaircissements que vous avez, depuis, donnés, pour expliquer ce revirement, beaucoup de gens, y compris dans votre propre camp, n’arrivent pas à admettre que l’avenir d’un pays puisse se jouer, comme ce jour-là, sur un coup de tête ou une saute d’humeur. D’autres n’hésitent pas à vous faire partager la responsabilité de la situation que vit le pays depuis lors.

Toujours est-il qu’après la victoire de Sidioca, vous héritez du perchoir de l’Assemblée nationale, un poste qu’il vous avait promis, en échange de votre soutien, alors que vous n’aviez que quatre députés, sur 95, et lui, aucun. Nos militaires, piètres guerriers, se révélaient, ainsi, véritables stratèges, dans l’art des miracles en politique.

Arrive le coup d’Etat du 6 août 2008. Le président, à qui vous avez donné certains conseils pour gérer la crise et que vous avez mis en garde contre le limogeage des généraux, ne vous a pas écouté. Il en a fait les frais. Cela ne vous pas empêche pas de vous battre pour son retour, synonyme de légalité constitutionnelle.

Le militant, qui hibernait, depuis 15 mois, à la tête de l’Assemblée, et qui commençait à prendre de «mauvaises» habitudes, se réveille, soudain. Et recommence à rugir. Si bien que les militaires concoctent un plan, avec le bataillon de députés dont ils disposent, à la chambre basse, pour se débarrasser de vous. Mais la couleuvre était trop grosse, pour le Conseil constitutionnel, qui en avalera, pourtant, une beaucoup plus volumineuse, quelques mois plus tard.

En tout cas, la manœuvre, était censée vous effrayer : elle vous aguerrit. Contrairement à votre collègue du Sénat, qui, dès les premiers coups de semonce, s’est dégonflé, comme une baudruche. Vous multipliez, alors, les sorties, virulentes, contre les militaires et n’hésitez plus à défier les forces de l’ordre, sur le terrain, en refusant de répondre à leurs injonctions. Tout le monde vous a vu, à la télévision, traverser un épais nuage de gaz lacrymogènes. Sans hésiter. Bref, vous êtes redevenu le Messaoud que les militants de l’opposition, les opprimés, les victimes d’injustice apprécient. Et qui se dit prêt à mourir, pour ses principes.

Le Calame, en constatant la convergence de ceux-ci avec la ligne, ancienne et toujours d’actualité, du journal, prend-il partie? Ceux qui le croient s’aveuglent. Peu à peu, un mouvement, profond, réunit des forces éparses. Il se peut que les militaires gagnent leur ultime bataille, le 6 juin, ils n’auront pas, pour autant, gagné la guerre. «Un jour, le peuple veut la vie / Force est au destin de répondre / Aux ténèbres de se dissiper / Aux chaînes de se briser...».

Gardez au cœur, Messaoud, ce poème d’Abou El Kacem Chaabi : il grandit, aujourd’hui, au cœur de chaque citoyen responsable, donnant corps à la «chose publique» mauritanienne, notre jeune République, bientôt adulte, enfin convaincue de ce que le droit doit commander, toujours, à la force…

Ahmed Ould Cheikh



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