lundi 17 août 2009

Gouvernement : Continuité de la rectification ? / Kissima DIAGANA


Gouvernement : Continuité de la rectification ? / Diagana Kissima

C’est finalement mardi dernier que le Président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz, a reconduit son Premier ministre et annoncé la composition de son gouvernement. 27 ministères et 3 secrétariats d’Etat, en plus des deux commissariats où les deux occupants ont été reconduits. Mohamed Ould Mohamedou pour la sécurité alimentaire et Mohamed Lemine Ould Dadde pour les Droits de l’Homme.

Première remarque : la composition du gouvernement n’a pas tenu compte de la politique des dosages tribalo-régionalistes auxquels les Mauritaniens sont habitués depuis deux décennies.


Toute lecture sur cette base serait faussée. Ici le Président Ould Abdel Aziz avait toute la latitude parce qu’il ne devait son élection à personne en particulier, surtout pas une région ou une tribu. Il n’avait pas non plus scellé ses alliances sur la base de marchandages. Ce qui lui a permis d’avoir sept afro-mauritaniens dans la nouvelle équipe, sans que cela dérange les nationalistes de l’autre bord.

Deuxième remarque : on compte six femmes parmi la nouvelle équipe. Ce qui est une révolution. Surtout qu’elles se sont vu attribuer des postes qui demandent compétence et force de caractère. Affaires étrangères, ministre conseiller à la Présidence, culture et sports, fonction publique, promotion de l’investissement et affaires sociales. Les femmes choisies sont notoirement connues pour leurs prestances. En matière d’engagement et d’endurance au travail, elles n’ont rien à envier à leurs frères. Au contraire.

Troisième remarque : deux postes de souveraineté – ce que les spécialistes appellent des «postes régaliens» - sont désormais occupés par des Haratines : la justice et l’intérieur. Après le vote de la loi incriminant l’esclavage, la problématique de la pratique est restée centrée autour de l’application de la loi d’une part et, d’autre part, de la question de la propriété foncière. Aux deux occupants de ces départements de rendre justice afin de donner aux victimes – anciennes et présentes – les moyens de s’émanciper définitivement. Et en premier lieu des surenchères politiciennes.

27 ministres, 3 secrétaires d'Etat donc pour la locomotive Aziz. L’opposition mauritanienne, elle, a mis deux jours avant de faire des commentaires sur ce nouveau gouvernement mis en place par le Premier ministre Ould Mohamed Laghdaf. L’opposition soutient que c’est une "équipe marquée par l'exclusion et le manque d'expérience". Du moins c’est ce qu’a affirmé un cadre de l’APP.

Pour le RFD, ce gouvernement n’est que l’expression du clientélisme. Absence d’ouverture, note-t-on du côté de Adil.

On peut constater que le Président nouvellement élu n’a pas reconduit certains des ministres qu’il avait gardés durant toute la période exceptionnelle. Ainsi Me Bal Amadou Tijane et Docteur Mohamed Mahmoud Ould Mohamedou, ministre de la justice et ministre des affaires étrangères n’ont entre autres pas été du groupe de l’après élection.

A la place du premier, c’est Baha Ould Hameida qui est choisi. Natif de Sélibaby, ce juriste de 46 ans a un CV assez étoffé. Mais pas visiblement d’expérience dans le secteur de la justice elle-même. Il fera certainement face aux grands défis du secteur.

Le second se voit remplacé par Naha Mint Mouknass. Présidente de l’UDP, un parti qu’elle a hérité de son père Hamdi Ould Moknass, lui-même ancien ministre des affaires étrangères sous Moktar Ould Daddah. Fille de celui qui a fait les meilleurs moments de la diplomatie mauritanienne, Mint Moknass est perçue par certains observateurs comme un choix audacieux mais en même temps comme une innovation : une femme ministre des affaires étrangères dans le monde arabe. Seulement il peut être attendu de Naha Mint Mouknass qu’elle mette à profit une expérience et un agenda légués par son père. Surtout l’agenda qui comporte des noms comme Abdelaziz Bouteflika, Mouammar Kadhafi, Paul Biya pour renforcer les liens de la Mauritanie avec l’étranger. Ne serait-ce que par procuration, la présidente de l’UDP est censée aider à faire retrouver au pays la confiance des autres : ces noms de vieux chefs d’Etat africains sont souvent très efficaces avec la communauté internationale en terme d’influence.

Une autre femme, Coumba Bâ, se voit confier le porte feuille de la fonction publique. Récompensée sans doute pour avoir été très active dans la campagne pour Aziz, poussant cet engagement jusqu’à faire partie des initiateurs de ce qui a été présenté comme la protestation des négro africains contre la candidature de Eli Ould Mohammed Vall, Coumba Bâ devra elle se confronter à tout ce que son ministère comporte comme problèmes à résoudre.

Autre femme, celle-là à la culture, la jeunesse et aux sports, Mme Cissé Mint Cheikh Ould Boide, administrateur de régies financières. Directrice du tourisme à sa nomination, elle est titulaire d’un diplôme de 3ème cycle en management stratégique à l’ISGI de Lille. Son ministère «dort» depuis quelques décennies. Ce qui explique la léthargie culturelle que connait le pays et qui explique grandement certaines déviances de sa jeunesse.

Messaouda Mint Baham Ould Mohamed Laghdaf est récompensée pour la campagne qu’elle a dirigée pendant plus d’un mois. Elle quitte le développement rural pour aller aux côtés du Président Ould Abdel Aziz comme ministre conseillère à la présidence.

Moulaty Mint El Mokhtar va au ministère de la famille, de l’enfance et des affaires sociales. Pour cette doctorante et titulaire d’un DEA en linguistique, le challenge sera l’application du code de la famille et la guerre qu’elle doit mener contre les obscurantistes qui se liguent déjà contre les nominations des femmes à des postes de responsabilité.

Maty Mint Hammadi… nous la voyons fatiguer les responsables sur les questions touchant son secteur : la protection du consommateur. Les débats auxquels elle participe souvent depuis quelques années, l’ont révélée comme une personne compétente, dotée d’une grande ressource morale. Elle va à la promotion des investissements privés à un moment où la Mauritanie fait face aux attaques terroristes. Bonne chance.

Le ministère des finances est confié à Kane Ousmane. Administrateur Directeur Général de la Société Nationale Industrielle et Minière après avoir séjourné à la tête de la Banque centrale de Mauritanie, ce natif de Tékane a certainement le profil du technocrate. Fonctionnaire internationale ayant travaillé à la Banque Africaine de Développement, le pays pourrait-il compter sur ses compétences pour recharger ses poumons d’air au moment où les supputations laissent croire que les caisses de l’Etat sont vides ? Qui mieux que lui peut prétendre réussir ce challenge ? Pour ce sortant de Polytechnique (X-mines), habitué à relever les défis, la tâche sera plutôt facile.

Le ministère de l’intérieur est revenu à Mohamed Ould Boilil. Cet ancien wali qui a travaillé sous le régime d’Ould Taya dans plusieurs régions du pays avait atterri au RFD après la chute de ce dernier. Dans la perspective d’un présidentielle programmée pour un certain 6/6/09, il avait quitté le parti d’Ahmed Ould Daddah en même temps que Kane Hamidou Baba qui se portait candidat. Il ne tardera pas à rejoindre les troupes d’Ould Abdel Aziz après les accords de Dakar. Pour une récompense, le poste de ministre de l’intérieur lui sied bien lui qui a été un wali redouté jusqu’à ce que ses administrés lui ait prêté la fameuse phrase : « ici, il n’y a que deux hommes : le grader et moi.» Si donc mission lui est confié de redresser ce secteur de l’administration territoriale, il devra reprendre pour credo cette expression. Du moins pour dissuader certains à être injustes ou à se comporter comme des roitelets dans leurs wilayas…

C’est un médecin qui est au chevet de la santé et des affaires sociales. Le Dr. Chekh Ould Horma sera-t-il capable de guérir les maux d’un secteur qui a besoin de beaucoup plus que les fougueuses entrées en scènes du Général promettant gratuité des soins et autres faveurs ? Si les pauvres ont compté sur le candidat du changement constructif, ils ont besoin de ne pas être ruinés ni délaissés quand ils sont malades.

Au ministère de l’habitat, de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire est envoyé Ismail Ould Bodde Ould Cheikh Sidiya. Un centralien. Pas moins ! L’intéressé a subi une formation pluridisciplinaire qui a été sanctionnée par un diplôme d’ingénieur de l’Ecole Centrale de Paris. Son expérience professionnelle s’étale sur 23 ans, surtout comme consultant international. Jusque-là il a dirigé l’institution chargée de reconstruire Tintane. Il aura à réaliser le gros du programme du Président Ould Abdel Aziz. Gazras, propriétés, aménagement, décongestion des villes, réorganisation de l’espace… tout y sera.

Sidi Ould Tah est reconduit à l’économie et le développement. Et c’est tant mieux. Tout le prédispose à bien diriger ce ministère : la formation, le cursus professionnel et l’intégrité. D’ailleurs Ould Abdel Aziz semble avoir mis le paquet sur les secteurs économiques : Affaires économiques et développement, finances, développement rural, pétrole et énergie, pêche et enfin Banque Centrale de Mauritanie avec la nomination de Sid’Ahmed Ould Raiss à la tête de cette institution.

Le tandem de la diplomatie est pressentie tout aussi efficace que l’équipe de l’économie. Avec Naha Mint Mouknass comme ministre, nous avons Ikebrou Ould Mohamed comme ministre délégué chargé du Maghreb Arabe. Conseiller des affaires étrangères, il fait partie des rares diplomates qui ont été réellement formés pour ce métier. Il a accumulé, depuis sa sortie de l’ENA, une expérience qui l’a mené dans plusieurs pays, notamment le Maroc, la Côte d’Ivoire, la Tunisie, les Emirats, puis des postes au ministère à Nouakchott. Il a été pendant toute la transition directeur de cabinet du ministère dont il hérite.

La grande faiblesse de ce gouvernement restera le domaine de l’éducation. Sans verser dans la polémique autour des compétences, il faut dire que l’éducation est une chose trop sérieuse pour être confiée à des novices.

Telles sont entre autres figures de la nouvelle équipe gouvernementale issue de l’élection présidentielle 2009. Pas de membres de l’opposition. Aucun des anciens adversaires du nouveau président ne sera représenté même si certains d’entre eux ont caressé l’espoir de se voir inviter dans le navire.

Comme s’il fallait convaincre que c’est la rectification quoi continue, Ould Abdel Aziz n’a finalement associé que ceux qui ont travaillé d’une manière ou d’une autre pour son ascension.


Apparemment les membres de cette équipe ne sont pas connus pour leur poids social. Au regard de leurs diplômes et leur relative jeunesse, ils peuvent bien incarner le changement et même la rupture si tant est que pour bien faire il faut écarter ce que l’on appelle généralement la vieille garde. Ils sont déjà une rupture avec justement cette vieille garde. Et c’est tant mieux.


Kissima (avec Oumère)
La Tribune n°465, du lundi 17 août 2009


© La Tribune - Août 2009

1 commentaire:

  1. Espérons que ce gouvernement fera exception de leurs prédecesseurs comrrompus. Les mauritaniens comptent beaucoup sur Aziz pour un changement radical. En nommant Kane Ousmane aux Finances, il a fait le bon choix, notre argent sera dans de bonnes mains.

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