samedi 25 juillet 2009

En Mauritanie, un putschiste «champion des pauvres»







Par Lemine Ould M. Salem | Journaliste | 25/07/2009 | 14H34

Connu pour son habilité à réussir ou à mettre en échec les coups d'Etat, le général Mohammed Ould Abdel Aziz (53 ans), le nouveau président mauritanien, élu samedi dernier avec le soutien discret de l'entourage de Nicolas Sarkozy pour sa fermeté face au terroriste d'Al Qaeda, est aussi un fin politique. Portrait.

Mohammed Ould Abdel Aziz au sommet du monde arabe de Doha le 30 mars (Ahmed Jadallah/Reuters)

Lorsque, dans quelques jours, portant l'écharpe et les insignes vert-jaune de nouveau président élu, le général Mohamed Ould Abdel Aziz s'installera pour cinq ans au Palais Ocre de Nouakchott, l'ancien putschiste pensera sans doute à ce lointain jour où, pour la première fois, il poussait les grilles de la Présidence.

Jeune capitaine, rentrant de stage en Algérie, l'ancien élève de l'Académie militaire royale de Mekhnès, au Maroc, y est convoqué par le chef de l'Etat, le colonel Maâouiya Ould Taya, qui lui confie sa sécurité personnelle. Dans ce pays saharien à forte culture tribale, où la confiance est souvent déterminée par le degré de parenté, Ould Taya avait, à priori, bien vu.

Marié à une femme de la même tribu que le chef de l'Etat, ce fils de commerçant des Oulad Bensbaa, cette tribu de chérifs Idrissides, installée entre le Haouz marocain, le Sahara mauritanien, et le Sénégal, avait aussi été recommandé au « Raïs » par son plus proche compagnon : le patron de la police, le colonel Ely Ould Mohamed Vall.

Résultat : durant deux décennies, ce président arrivée par un coup d'Etat en 1984 avant de se faire élire plusieurs fois lors de scrutins contestés, régnera sans partage sur cette petite république en éternelle tension et qui détient le record africain en matière de putschs réussis ou avortés.

A lui seul, Aziz en mettra en échec plusieurs, dont un qui avait presque réussi. C'était en juin 2003, lorsqu'il parvient à réinstaller son patron dans son palais, alors que ce dernier en avait déjà été chassé depuis deux jours et demi, après que des dizaines de chars blindés l'avaient contraint à fuir, ne lui laissant même pas le temps d'amener sa famille avec lui.

Un autocrate aux méthodes dangereuses pour le pays

Cet exploit vaut à celui, qui est déjà commandant, la célébrité dans tout le pays, ainsi qu'au Basep, l'acronyme du bataillon d'élite qu'il a crée et installé à la présidence, sur le modèle de la garde républicaine de l'irakien Saddam Hussein. Il lui vaut aussi le grade de colonel doublé de la plus prestigieuse distinction militaire du pays.

Trop tard. L'empêcheur des putschs prépare déjà le sien. Il vient de découvrir ce que nombre de Mauritaniens savaient déjà : l'inamovible « Raïs » n'est en fin de compte qu'un autocrate dont les méthodes de gouvernement sont dangereuses pour le pays.

Le 3 août 2005, en compagnie de son vieil ami de promotion, le colonel Mohamed Ould Ghazouani, chef du bataillon des blindés, un autre corps d'élite, il se rend chez l'un des doyens les plus respectés de l'armée : le colonel Ely Ould Mohamed Vall, celui-là même qui avait initialement recommandé Aziz à Ould Taya.

Les jeunes colonels, lui proposent un coup d'Etat. Le doyen accepte et le trio installe une junte dont le colonel Vall prend la présidence. Dans la foulée, une transition est organisée et ses résultats sont applaudis dans le monde entier : pour la première fois dans un pays arabe, des putschistes remettent le pouvoir à un président « démocratiquement » élu : Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, un ancien ministre tombé depuis longtemps dans l'anonymat, mais que ces militaires avaient discrètement sorti de sa retraite et soutenu.

Depuis, l'ancien capitaine devenu le premier général mauritanien, était le principal chef de l'armée, et le décideur le plus influent de la vie politique du pays. C'est d'ailleurs pour l'avoir vite oublié que le président Abdallahi ne terminera jamais son mandat.

En août dernier, en réaction à une fronde parlementaire dont Aziz était le cerveau, Abdallahi tente de limoger le général. En vain. Ce dernier prend lui-même le pouvoir et s'installe à la tête d'un Haut Conseil d'Etat, qu'il ne quittera plus jusqu'en avril dernier, pour pouvoir se présenter à une nouvelle présidentielle dont la communauté internationale exigeait la tenue. Durant ces huit mois d'exercice du pouvoir, ce militaire austère et réservé se révélera aussi un politicien rusé et calculateur.

Gel des relations avec Israël

Tournant le dos aux clans, tribus, partis et milieux d'affaires, qui dominent depuis toujours la vie politique et les richesses du pays, il courtise les populations des bidonvilles, des quartiers populaires et les paysans, c'est-à-dire la grande majorité des électeurs dans ce pays parmi les plus démunis de la planète.

Quitte à fragiliser les maigres ressources de l'Etat, déjà affaiblies par la suspension de l'aide internationale survenue depuis son coup d'Etat, c'est pour les séduire qu'il baisse les prix des denrées de base, du carburant, du ciment, fournit des aides médicales, réalise des routes, apporte l'électricité, l'eau potable, etc.

En Mauritanie, comme dans le reste du monde arabe, le « gens d'en bas » étant aussi très sensibles à la question palestinienne, le général gèle les relations avec Israël, sans remettre en cause l'alliance avec les Occidentaux, surtout sur des questions aussi importantes que la lutte contre la terrorisme.

C'est d'ailleurs sous la double étiquette de « candidat des Pauvres » et de « favori des Occidentaux », dont la France, qui lui apporté un soutien discret par le biais de proches de Nicolas Sarkozy, que ce putschiste multirécidiviste est allé aux urnes samedi dernier.

Avec 52% des voix, il a officiellement été déclaré élu dès le premier tour. De ses huit rivaux, dont quatre ont contesté cette victoire, aucun n'a dépassé la barre symbolique de 20%. Parmi eux, son ex mentor, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, qui n'a guère recueilli plus de 4%. Autant dire leur déception. Les deux officiers sont cousins germains.

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