mercredi 5 août 2009

Affaire Taqadoumy : Une presse au dessus des lois !



Levée de bouclier, indignation, injustice, règlements de compte, les gros titres de la presse et les pétitions ne s’embarrassent pas de forme laissant libre cours à leur esprit corporatiste pour qualifier l’arrestation et le procès du directeur du site électronique Taqadoumy « d’atteinte à la liberté de la presse » alors que ce dernier a outre passé les dispositions de la loi en diffamant un citoyen engagé dans la course présidentielle.

Plus que ça, le site électronique en question a été incapable de faire prévaloir l’exception de vérité dans l’affaire Ibrahima Moctar Sarr pour mettre en échec l’accusation de diffamation initiée par la plainte d’un particulier et renforcée par le parquet de la République.

Depuis le 29 juillet 2009, une pétition appelant à libérer le directeur du site électronique Taqadoumy circule sur le Net. Celle-ci semble faire de ce site le martyr de la presse et voit derrière l’arrestation de son premier responsable un règlement de compte commandité par on ne sait quelle autorité publique.

Couverture discriminatoire

La pétition s’indigne également devant une pratique qui a « atteint son paroxysme avec l’emprisonnement, en attente de son procès, de Hanevy Ould Dehah Directeur de Publication du journal électronique Taqadoumy, le 18 juin 2009, avant sa mise à l’écrou, enchaîné, selon un procédé inconvenant même envers les pires criminels ».

Même si les termes tendent à l’exagération, il ne s’agit, dans le cas d’espèce, que de l’application de la loi et l’indignation n’a pas sa place ici et dénote d’une discrimination, car tous les suspects sont appréhendés de la même manière sans que jamais la presse n’ait eu à s’indigner et ce conformément aux dispositions du code de procédure pénale qui est fondé sur le respect de la dignité, car ils sont présumés innocents jusqu’à ce qu’une juridiction prononce leur condamnation à la suite d’un jugement équitable fondé sur le respect de la défense.

Dans le cas de figure, le directeur de Taqadoumy a joui des droits inhérents à un accusé en matière pénale même si la pléthore d’avocats, qui le défend, a sciemment omis de le signaler.

Hanevy Ould Dehah, n’est certes pas un criminel et la comparaison faite par la pétition n’est pas indiquée même si l’intéressé à déjà eu s’expliquer devant la justice pour cause de plainte de diffamation contre son site initiée par un autre particulier, qui, il faut le rappeler, n’est pas du tout du côté des pouvoirs publics décriés par ladite pétition.

A l’époque, le souci de la justice de protéger autant que faire se peut la liberté de la presse a amené le parquet à être clément avec l’accusé et l’affaire s’était soldée par la fermeture momentanée du Site incriminé et le tribunal avait tenu compte du fait que le directeur du site n’avait pas d’antécédents judiciaires et était inconnu des registres judiciaires.

La liberté de la presse ne signifie pas l’impunité

Aujourd’hui, la donne a changé. Hanevy Ould Dehah, même s’il a un casier judiciaire vierge, n’a pas tenu compte des avertissements du tribunal et a tout simplement persisté dans un style de presse que ses cibles considèrent ostentatoirement comme de la diffamation sciemment mûrie notamment lorsqu’elle sert, selon elles, des desseins politiques avoués.

Cependant, de tout cela la justice s’en moque. L’application de la loi et le respect des droits des citoyens passent avant tout. La liberté de la presse n’est pas une carte blanche pour diffamer les citoyens. La liberté de la presse ne signifie pas l’impunité. Les journalistes ne sont pas au dessus de la loi.

La loi protège l’honneur de l’individu

L’honneur des individus est protégé par la loi au même titre que la liberté de la presse. La transgression de ces principes est sanctionnée par le législateur.

En effet, l’article 37 de l’ordonnance n° 2006.017 sur la liberté de la presse est clair à ce sujet en disposant que « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ».

Mieux encore « la publication directe et par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable même si celle-ci est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps expressément nommés mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminées. Par ailleurs, toute expression outrageante, termes de mépris ou invectives, qui ne renferme l’imputation d’aucun fait, est une injure ».

La même ordonnance, que d’aucun a considéré, en son temps, comme une avancée substantielle dans la protection de la liberté de presse, réserve un traitement rigoureux aux auteurs de diffamation ou d’injures par voie de presse.

C’est ainsi que son article 38 punit la diffamation par voie de presse envers les cours, les tribunaux, les forces armées et de sécurité les corps constitués et les administrations publiques d’une amende de 500.000 UM à 1.000.000 UM.

Le spectre de la sanction est encore élargi par l’article 39 qui sanctionne de la même peine la diffamation commise par les mêmes moyens, à raison de leur fonction ou de leur qualité envers un ou plusieurs membres du gouvernement, ou plusieurs membres de l’une ou l’autre chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l’autorité publique, temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition.

La vie privée de ces mêmes personnes est protégée contre la diffamation par l’article 40 qui punit la diffamation par voie de presse envers les particuliers d’un emprisonnement de quinze jours au plus et d’une amende de 400.000 ouguiyas à 1.000.000 d’ouguiyas ou de l’une de ces deux peines. Si elle est commise à raison de la race, de l’ethnie, de la région ou de la religion l’emprisonnement est porté à un an et l’amende à 10.000.00 d’ouguiyas

Il découle donc de l’ordonnance sur la presse que :

- Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.

- Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure.

L’affaire Taqadoumy semble être donc liée à un délit de diffamation et injures dont le siége est principalement mais pas exclusivement l’ordonnance sur la liberté de la presse

Qu’est-ce qu’une diffamation ?

Constitue une diffamation « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». La diffamation est ainsi constituée de cinq éléments.

Une allégation ou une imputation

La notion d’allégation signifie reprendre, répéter ou reproduire des propos ou des écrits attribués à des tiers et contenant des imputations diffamatoires, même sans citer les sources avec précision ou sans attribuer les propos à une personne déterminée « il se dit dans les milieux bien informés que… » ; «Tout le monde sait que… » ; « Selon une source bien informée ». La notion d’imputation revient à affirmer personnellement un fait en prenant la responsabilité du propos.

Un fait déterminé

L’imputation ou l’allégation doit porter sur un fait, ce qui permet de distinguer la diffamation de l’injure qui ne renferme l’imputation d’aucun fait. Un fait étant susceptible de preuve, la loi autorise l’auteur du propos diffamatoire, prévenu, à rapporter la preuve des imputations diffamatoires (possibilité qui n’est évidemment pas ouverte en matière d’injure où il n’y a rien à prouver).

La mise en œuvre est cependant délicate, car la frontière entre l’injure et la diffamation est difficile à tracer. Les solutions dégagées par le juge sont propres à chaque espèce. Cette mise en œuvre est d’autant plus délicate qu’une erreur de qualification des propos emporte comme conséquence l’échec des poursuites.

Une atteinte à l’honneur ou à la considération

Porter atteinte à l’honneur ou à la considération de quelqu’un c’est, par exemple, lui imputer des manquements à la probité, des infractions pénales, des comportements moralement inadmissibles.

Une personne ou un corps diffamé(e)

La diffamation sanctionne des imputations visant précisément des personnes physiques ou morales (en les nommant donc expressément).

La diffamation est aussi punissable si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identité est rendue possible par les termes des discours ou écrits. Cette identification se fait alors à l’aide d’éléments tirés du support matériel de la diffamation.

Une publicité

La publicité donnée aux imputations ou allégations diffamatoires constitue un élément du délit. La publicité résulte de l’un des moyens énoncés à l’article 32 de l’ordonnance sur la liberté de la presse: paroles, écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images, et d’une façon plus générale tout support de l’écrit, de la parole et de l’image et tout moyen de communication électronique.

Ce critère suppose des paroles prononcées ou des écrits vendus, distribués ou exposés dans les lieux ou réunions publics. Ainsi, il y a publicité lorsque les propos diffamatoires sont tenus à haute voix dans un lieu public par nature comme, par exemple, une rue, une place, une promenade, une terrasse de café ou de restaurant.

De même, il y a publicité lorsque les écrits ou les paroles ont été distribués ou prononcées dans des lieux publics par destination comme par exemple des bâtiments administratifs aux heures d’ouverture au public. Dans ce cas, le juge tient compte aussi de la composition des auditeurs des propos diffamatoires ou des destinataires des écrits litigieux.

Qu’est-ce qu’une injure ?

Est une injure « toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ». Comme en matière de diffamation, la répression dépend de la qualité de la victime.

L’injure publique envers, d’une part, les cours, les tribunaux constitués, les administrations publiques, et d’autre part, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, un ou plusieurs membres du gouvernement, un ou plusieurs membres de l’une ou de l’autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l’autorité publique, un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public, temporaire ou permanent, un juré ou un témoin à raison de sa déposition est punie d’une amende de 500.000 UM à 1.000.000 UM.

L’injure publique commise envers les particuliers, lorsqu’elle n’est pas précédée de provocations, est punie de la même peine.

Ces éléments constitutifs se trouvent-ils réunis dans le site incriminé. Le doute n’est pas permis, car un historique, au hasard, de ses unes l’atteste facilement. C’est ainsi que particuliers comme autorités publiques n’ont pas échappé au style diffamatoire de Taqadoumy à travers des titres qui annoncent la couleur comme par exemple :

• « Abus de biens sociaux à la SONADER » (30-01-2009),
• « La Somagaz renonce à l'acheminement du gaz pour offrir une VX à son PDG » (27-01-2009),
• « 50.000.000 $ détournés par les militaires » (14-01-2009),

• « Limogeage des deux patrons de l'ENER et suspicion légitime à la SONIMEX », (26-01-2009),
• « La Mauritanie payée par l'Iran pour expulser l'ambassadeur d'Israël » (30-03-2009),
• « Sid'Ahmed O. Rayess offre 160 million à un député »(27-02-2009 ),

• « O. Hadi, le DGSN, vole un véhicule »(17-02-2009) ,
• « L'ADG de la SNIM privilégie d'abord la famille » (05-02-2009),
• « Le Général Aziz ordonne la fermeture de Chinguitel » (15-03-2009 15-03-2009),

• « Par peur du gri-gri, Aziz interdit à Bâ M'baré de franchir le seuil du bureau présidentiel » (29.04.2009),
• « Aziz offre un demi milliard à KHB, Sarr, Sghaïr et Saleh » (26-04-2009),
• « Allal O. Hadj et O. Brahim Khlil à l'origine du tract contre le FNDD » (16-05-2009),

• « Aziz utilise les voitures et les téléphones de la Présidence » (05-07-2009), ou
• « Aziz incite Kane à déposer un recours contre Ely » (01-07-2009).

L’arrestation de son premier responsable et son jugement après une incarcération d’un mois suite à la procédure de flagrance conformément au code de procédure pénale et la prolongation de sa détention par la chambre pénale jusqu’au 5 août 2009 s’inscrivent dans la droite ligne de la procédure et coupe l’herbe sous les pieds de ses avocats qui espéraient ainsi prendre en défaut le parquet à l’expiration du mois de détention légal prévu à cet effet.

Mais mal leur a pris puisque le tapage médiatique fait sur l’incarcération « illégal »’ n’est pas fondé et s’explique par le souci des avocats de donner à cette affaire un aspect politique, car il est évident qu’ils ont perdu la bataille judiciaire leur client étant pris en flagrant délit et ne possède aucune preuve sur les cas de diffamation qui lui sont imputés.

Par ailleurs, les publications de Taqadoumy sur les faits imputés à des personnes et non avérés sont susceptibles de tomber sous le coup de la dénonciation calomnieuse et envoyer leur auteur en prison pour une durée bien plus longue que celle prévue en matière de diffamation ou d’injure.

En effet, l’article 348 de l’ordonnance n°89.162 du 9 juillet 1983 portant code pénal dispose en substance que « Quiconque aura, par quelque moyen que ce soit, fait une dénonciation calomnieuse contre un ou plusieurs individus, aux officiers de justice ou de police administrative ou judiciaire ou à toute autorité ayant le pouvoir d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente ou encore aux supérieurs hiérarchiques ou aux employeurs du dénoncé, sera puni d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de 10.000 ouguiyas à 200.000 ouguiyas ».

Le tribunal pourra, en outre, ordonner l’insertion du jugement, intégralement ou par extrait dans un ou plusieurs journaux et aux frais du condamné.

La distinction entre la diffamation et la dénonciation calomnieuse étant difficile à faire, il est souhaitable que les avocats du directeur de Taqadoumy prennent les devants afin d’amener les juges à se limiter à la première.

Cette tache semble ardue, car la jurisprudence dominante se focalise sur la dénonciation calomnieuse pour réparer le préjudice subi par les victimes de la presse.

Issa Sow


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