vendredi 7 août 2009

L’Etat de droit ! Mais de quel Etat de droit en Mauritanie ? BÂ Kassoum Sidiki

Entre l’exception et la règle, la norme et son envers, la Mauritanie aura été soumise au retournement inattendu de situations. Au lendemain d’élections transparentes portant sidioca au pouvoir nous pensions nous ancrer dans la démocratie, ce fut un coup de force qui nous réveilla de l’idéal démocratique. Ce que nous croyions impossible se fit jour : le retour des militaires.



C’était encore l’aurore mouvementée dans la lueur des sabres, l’aube agitée d’une grêle poudreuse. Les canons se pointèrent pendant que les chars s’agglutinaient auprès de nos demeures. Une voix nous annonçait le commencement d’une cité heureuse, ce matin du 6 août où le Général Ould abdel Aziz prit le pouvoir. Il trancha en chef militaire plutôt qu’un sage. Le ciel serti de baïonnettes, la forfaiture se fit même dans une offre de grâce : la lutte contre le terrorisme, la corruption et la gabegie. Ould Abdel Aziz présenta un programme plutôt qu’un projet. De facto il se banalisait dans une posture de chef de parti, celui des généraux, ses pairs, qui s’invitait dans l’arène politique. Encore un édifice nous promit-on alors que nous pensions nos fondations installées et stables. Un coup d’Etat allait à nouveau détruire nos rêves de modèle. Un président élu démocratiquement, comme dans aucune autre élection en Mauritanie, venait d’être renversé. Ainsi nous recommencions la fermeture, les états-majors nous remettaient dans la répétition du même. « Ce lent vertige qui nous fait tourner, mon pays et moi, prendra-t-il fin ? » susurrait le chef des Diallobé dans l’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane.

Il y a là un aspect prégnant et inquiétant de l’éternel retour : la résurgence de l’un, le tourbillon du même. Quelle condition de l’homme et du citoyen que celle de sentir une gésine sans terme. Se retrouver au même point dans l’aller et retour, observer les mêmes péripéties dans l’écoulement du temps comme si l’histoire recommençait, ne prenait que des tournures identiques. Ce saisissement métaphysique a de quoi bouleverser la conscience la plus quiète. C’est l’implication éthique d’une telle figuration de l’histoire qui requiert réflexion. En effet revoir les mêmes évènements se répéter, les mêmes scènes se jouer noue le regard, remue l’esprit, pose l’énigme du temps et le sens de l’histoire. Nietzsche lui-même, selon ses proches, parlait à voix basse, dès qu’il évoquait le thème de « l’éternel retour », en tremblant de tous ses membres. Depuis 1978 les événements et les hommes se sont enveloppés dans une configuration unique. Ce fut un parcours circulaire qui repassait par les mêmes lieux et les mêmes procédés. Toujours un militaire ou un chef de tribu ou de clan tapi à l’ombre avec le regard plein du pouvoir dont il veut s’emparer. Aziz a largement été élu et l’inverse eut été très surprenant. Qui organise les élections, quand il est au pouvoir, les gagne dans nos contrées. Ce qui est déroutant ce n’est ni l’intention, ni le discours. C’est la parenthèse ouverte à la prise de pouvoir contre la légitimité constitutionnelle. C’est l’exemple donné à qui veut faire entendre ses bruits de botte, le crépitement de ses lances. Un coup d’état dans une démocratie, même si celle-ci a des insuffisances, est contre-nature. Ainsi c’est l’empire et le réseau qui nous dominent. L’empire entendu comme centre, ici l’autorité militaire avec ses divisions et sa hiérarchie, ses connexions tribales et régionales, ses relais nationaux et locaux ; le réseau comme domaine des circuits économiques, financiers, sociaux, culturels dont la fonction est de maintenir le pouvoir qui doit circuler au sein d’un même groupe. Le réseau assure les mécanismes de contrôle, contraint dans les détails les savoirs et les volontés. C’est le pouvoir éclaté en sa périphérie, qui se manifeste aussi dans les marges assujetties à la position générale. C’est une tache pour le savoir (sociologique, historique) que de saisir les extrémités, les fils tenus par lesquels un ordre massif de domination s’exerce. La domination peut être parcellaire, satellitaire. Elle a des dimensions locales, régionales et des techniques particulières pour la faire circuler. Un pouvoir fonctionne en chaîne ; il a un centre et une périphérie et c’est à cela aussi qu’il faut faire attention. C’est que le pouvoir transite par l’individu, des associations, des organisations. L’armée est partout, elle a infiltré nos vies. C’est la dimension de sujet qui est niée en chaque mauritanien. Dans l’acte libre du vote une direction était donnée pour le pays. Le fait politique mauritanien prenait sens. Le Président Sidi Ould Cheikh Abadallahi comprit la vérité d’une Mauritanie multinationale, la fracture profonde qui la minait. Il porta la mémoire collective dans ce qu’elle nous réconcilie. Il se hissa à une dimension historique d’une dignité pédagogique et morale exemplaire. Willy Brandt alors Chancelier s’était agenouillé, au nom du peuple allemand face à l’holocauste, lors d’une visite en Pologne, devant le mémorial juif, pour demander pardon. Sidioca lui sut trouver les mots justes pour la veuve et l’orphelin, le déporté et le supplicié. « Au cours des années 80, reconnaît le Président, notre pays a été le théâtre d’atteintes massives aux droits de l’homme qui devaient culminer en 1989-90-91. Des citoyens mauritaniens à l’intérieur et à l’extérieur du pays ainsi que des résidents établis en Mauritanie ont été victimes d’exactions graves et injustifiées. Des populations paisibles se sont vues contraintes à quitter leur pays… Je voudrais ici, au nom de la république, exprimer ma compassion à l’égard de toutes les victimes de ces années sombres » (Discours du 29 juin 2007). Fonder c’est promouvoir une idée, inscrire la perspective dans l’éblouissement du beau, dans une différence singularisée dans une unité. « Penser, disait Camus, c’est avant tout vouloir créer un monde » (In Le Mythe de Sisyphe) Ainsi la parole du président s’était épaissie, enrôlée dans l’amplitude du juste. Et c’est cet itinéraire qui doit servir de repère, ce modèle qui doit inspirer. Puiser dans la parole qui a osé formulé le passif humanitaire ; de sélective pour la gloriole du chef elle évoqua avec Sidioca les échecs et illumina l’ombre par le sceau de la vérité. Le possible démocratique, le désir d’une Mauritanie d’égalité et de liberté avaient éclairé notre imaginaire pour réaliser l’état de droit. La criminalisation de l’esclavage, l’assurance d’une égalité civile entre les citoyens, avaient ouvert une ère de renouveau mauritanien. L’essence de la démocratie est de produire des normes en préservant les différences, de réaliser au mieux la nature humaine. Sous Sidioca le droit ne s’identifiait plus à la force, à la puissance victorieuse comme dans le régime de terreur sous Taya où l’Etat s’égarait dans le massacre et la négation de l’autre.



Rien ne doit justifier qu’un seul individu ou un groupe restreint se tienne au-dessus de la société et décide de son avenir. L’individu fut-il empereur ou césar n’est pas en droit de faire régner son ordre. La démocratie est « l’union des hommes en tout » pensait Spinoza dans le Traité Théologico-politique. C’est donc à la multitude d’être un sujet politique, acteur de ses promesses d’avenir. La multitude se conçoit comme une pluralité de différences. « La multitude est une multiplicité de différences singulières » écrivent Antonio Negri et Michel Hardt dans Multitude. Elle ne se réduit pas à une unité ou à une identité singulière : Arabité, Africanité, Francité, Latinité. Elle est le socle de différences de culture, de couleur, d’ethnicité, de genre mais aussi différentes manières de vivre, différentes façons de parler. La multitude, qui n’est ni le peuple souvent victime de propagande ni la masse au caractère indifférencié et fréquemment aveugle, est l’instance sur laquelle doit s’appuyer le projet, la responsabilité de la définition du commun. Le commun c’est ce que les hommes d’une société ont en partage. Il nous permet de communiquer et d’agir ensemble dans le maintien des identités et des singularités. Vivre en commun c’est vivre ensemble dans une diversité reconnue.



Le coup d’état comme outil de pouvoir et de commandement au détriment du vote des citoyens pose la pertinence de ce mode de légitimation. Ce qui revient à analyser la place dévolue à l’armée. Hector sur son char défendait la ville de Troie, Oumarou Moctar la Libye tandis que Silâmaka Yéro et son fidèle compagnon Poullôrou Galhaawa chevauchaient pour la libération du Macîna. La défense du territoire et la sécurité sont les rôles dévolus à l’armée, au soldat. Quand le fait accompli, le coup d’état fait droit c’est que la démocratie s’assombrit. Kant se refusait dans Le projet de paix perpétuelle à discriminer les guerres, à savoir si telle guerre est plus juste qu’une autre ; puisque dans la guerre on tue ou on se fait se tuer simplement, logique impliquant que toutes les guerres se ressembleraient. Se pose alors la question de la justesse du coup d’état d’Aziz même si ce dernier l’a contourné par une élection. Eliminer la représentation de l’armée dans les institutions politiques, réduire son droit de regard et ses possibilités de prise de pouvoir sont des moyens pour s’atteler à l’essentiel : résoudre la question nationale, travailler au respect de toutes les cultures, à l’équité sociale de tous les mauritaniens. C’est véritablement là l’évènement. A la limite une élection n’est pas en soi un évènement. Ce qui fait évènement c’est le déplacement des réponses, la prise en compte de la spécificité mauritanienne. A l’ère de l’individu et du transnational, du sacre de la société civile, réfléchir à la place de l’ancien et du nouveau, de ce qu’est être citoyen mauritanien au XXI è siècle, ce que représente le progrès dans un pays très pauvre classé parmi les moins avancés, n’est pas vain. Une institution ne tire pas sa valeur dans le fatalisme des milieux modestes, dans l’arrogance de l’Etat. Elle se met en dimension par la donation de sens, la réalisation de soi, le bonheur du plus grand nombre d’hommes possible.

. Contre vents et marées, au prix même de sanctions économiques mettant à rude épreuve le pays, Ould Abdel Aziz, militaire de carrière, aura réussi à se hisser sur les crêtes du pouvoir. Plus que le pouvoir ce qui importe c’est ce qu’on fait de celui-ci. Dans un monde où l’insurrection de la liberté se finalise en démocratie, être élu ne saurait être une prime de commandement, une magnificence, l’éclat de la défaite des autres. Si la légalité est affaire de loi, la légitimité est affaire de pratique de bonne gouvernance. C’est la qualité des solutions qui fait une présidence, l’inversion des souffrances. Ould Abdel Aziz qui vient du sérail militaire a été élu, avec un certain talent, beaucoup de ruse, Président de la République , en s’emparant de thèmes porteurs. Il lui appartient maintenant, de mettre fin définitivement à l’intrusion des militaires, de faire de la Mauritanie une puissance culturelle forte de la diversité de ses composantes nationales. Mais il sera jugé sur sa parole contre l’oppression, dans ses actes pour résorber la fracture nationale, le problème racial, les inégalités sociales. Son pouvoir devra être analysé non pas de l’intérieur, dans ses intentions, dans ce qu’il dit de lui-même mais surtout et davantage par les œuvres accomplies. Spinoza osait avancer (T.T.P, chap. XIV) que les meilleures œuvres de foi sont la Justice et l’Humanité.


BÂ Kassoum Sidiki

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