mardi 28 juillet 2009

Présidentielle 2009 : Le piège a-t-il fonctionné ? MFO


L’un des slogans de mai 68 : «Elections : piège à cons». Les anarchistes avaient alors trouvé la formule pour déprécier l’acte fondamental dans une démocratie, l’expression du choix populaire, acte fondateur de la souveraineté du peuple.
Que s’est-il passé chez nous ? Quelque chose qui remette fondamentalement en cause ce caractère souverain ? Comment a-t-on organisé cette élection ? Dans quel esprit ? Avec quels matériaux ? La «magie» a-t-elle intervenu ? Faut-il croire qu’il y a eu manipulation ? Pourquoi le président de la CENI a-t-il démissionné ?

…d’autres questions encore… nous vous proposons quelques éclairages sur les faits. A vous de juger ensuite.

Magic systems ?


L’un des grands arguments développés par certains candidats contestataires, est cette question de «bulletins intelligents». Les bulletins auraient été marqués au préalable à la case du candidat Ould Abdel Aziz, puis couverts par une substance chimique qui disparait dès que l’électeur aura marqué la case de son choix emportant avec elle ce signe. Le vote est alors comptabilisé pour Ould Abdel Aziz. Ce qui a permis selon les auteurs de cette théorie, d’engranger tant d’électeurs pour l’intéressé. Les bulletins ainsi «manipulés» (ou maraboutés) auraient été distribués à une grande échelle dans tout le pays. Personne ne dit où ils ont été confectionnés, même si on laisse parfois entendre que c’est du Sénégal qu’ils seraient venus.

Autre argument un peu plus «rationnel» est celui qui consiste à dire que «le fichier électoral a été manipulé par des experts venus du Sénégal». Cette assertion a le mérite de mieux convenir, même si elle reste sans preuve. On parle ici et là de «spécialistes mis à disposition par le Sénégal pour faire profiter Ould abdel Aziz du savoir-faire «amical». On donne des noms, sans dire comment.

En réalité, on tente par ces différentes «théories» d’expliquer le score inattendu pour certains de Mohamed Ould Abdel Aziz et son passage au premier tour. Pour d’autres, il s’agit de trouver un justificatif à leur classement. Et parce que personne n’a la preuve matérielle d’une fraude avérée, ‘on’ avance les arguments les plus inattendus.

Au cours des négociations de Dakar, le problème de l’audit du fichier électoral a bien été posé par les représentants de l’opposition. Le principe a été retenu. D’ailleurs il a été fait par le groupe d’experts nationaux et internationaux affiliés à la CENI. Cet audit a été l’œuvre de : Siaka Sangaré (délégué général aux élections, Mali), Abibe Fall (directeur de l’automatisation des fichiers électoraux, Sénégal), Jacques Drouin (adjoint au directeur général des élections et directeur des opérations électorales, Québec), Baba Ould Dah (conseiller auprès CENI) et Mohamed Ould Djibril (conseiller auprès CENI).

Objectifs d’une telle opération : analyser la base de données du fichier 2009 et faire le rapprochement avec 2007 ; analyser le répertoire des bureaux de vote pour les deux années ; évaluer la cohérence générale de la base de données de données du fichier (unicité de l’inscription par bureau de vote, majorité de l’électeur…). Il faut rappeler que la révision extraordinaire décidée à la suite de la mise en œuvre de l’Accord de Dakar était courte : du 29 juin au 5 juillet. L’inscription concernait les électeurs dont les noms ne figuraient pas sur le fichier sur la liste électorale établie en mars 2009. Ceux qui sont depuis en âge de voter, qui ont eu la carte d’identité nationale, ceux qui ont été omis ou absentes pour une raison ou une autre. Dès le 6 juillet, le ministère de l’intérieur a procédé à la saisie et au traitement des nouvelles données. Les changements de bureau n’étant pas permis, 38 480 nouveaux inscrits ont été rejetés pour double inscription, 6 323 pour non-conformité avec le fichier d’état civil et seulement un peu plus de 56000 environ ont été ajoutés aux listes.

Les rapprochements faits, le ministère a remis les listes à la CENI dès le 13 juillet, alors qu’elles ont été acheminées dès le 12, en même temps que le matériel électoral. En effet, les bulletins ont été ramenés par l’imprimeur lui-même par vol spécial. A l’aéroport attendaient les services du ministère, la CENI, les représentants des candidats. Dès le lendemain matin, les points focaux régionaux ont remis le matériel aux gouverneurs (Walis mouçaid) des régions (listes électorales, bulletins, urnes, scellés, torches, téléphones…).

Pour revenir à l’audit, le constat est clair : «le fichier ne comprend aucune double inscription, tous les électeurs sont rattachés à un bureau de vote, tous les bureaux de vote contiennent des électeurs, aucun électeur mineur n’apparaît sur la liste électorale, aucun bureau de vote ne contient plus de 800 électeurs». Dans une deuxième partie, l’audit compare les fichiers 2007-avril et juillet 2009. Si la dernière révision a permis d’inscrire 56 445, celle d’avril 2009 avait permis d’ajouter 51 337 nouveaux électeurs. Par rapport à 2007, il y a eu 107 782 électeurs nouveaux, soit 9,52% de plus. Les seules localités où cette moyenne semble surprendre sont : Achemin (86,33%), Akjoujt (33,18%), Dar el Avia (31,24%), Jidrelmohguen (39,68%), ELB Adress (45,33%) et N’Teychitt (31,5%). Pour Jidrelmohguen, cette augmentation s’explique par l’établissement des réfugiés mauritaniens rentrés du Sénégal. Pour les autres localités, il s’agit vraisemblablement de la sédentarisation de nomades en cette fin de saison sèche.

L’audit qualifie de «préoccupant» le cas de ceux qui n’ont pas pu s’inscrire dans d’autres bureaux, soit 36% des nouveaux inscrits (38 480) et le cas des 6323 demandes rejetées pour faute sur leurs filiations, «car ils sont privés de leur droit de vote et sans recours possible suite à des erreurs commises par les agents de l’administration sur les numéros de carte d’identité».
L’audit des experts recommande : «l’information des 38480 électeurs dont les demandes de changement de bureau de vote ont été rejetées ; la poursuite des opérations d’identification des 6323 électeurs non identifiés dans la perspective de les inscrire pour un éventuel deuxième tour». Ce qui a été fait par le ministère de l’intérieur.

Un parcours sans faute. Seul hic : au bureau 7 de Timbédra (Hodh Echergui), la liste n’était pas arrivée le 15 juillet. Une voiture spéciale a été envoyée acheminer la liste laquelle a été transmise au préfet par internet pour parer à toute éventualité. Les coins les plus reculés avaient des Thurayas pour rester en contact. Tout y était. Si bien que le jour du scrutin, tous les bureaux ont fonctionné normalement, d’ailleurs aucune anomalie n’a été signalée à ce stade. A chaque étape, le ministre avait pris les attaches de la CENI et des représentants des candidats. Avant, pendant et après le scrutin. Bien des contrôles furent faits. Au lendemain du scrutin, une délégation du RFD s’est adressée au secrétaire général du ministère de l’intérieur pour vérifier la qualité des bulletins. Une expérience fut faite devant eux et en présence de témoins. Déjà la CENI avait demandé l’envoi de quelques spécimens de ces bulletins pour le même contrôle. Ce qui fut fait.

Si bien qu’au soir du jour d’après le scrutin, le ministre de l’intérieur n’avait plus qu’à annoncer les résultats tels qu’ils étaient. Nonobstant toutes les appréhensions. Prenant à cœur sa responsabilité et conscience de l’enjeu, Mohamed Ould Rzeizim annonça les résultats qui donnaient le candidat Mohamed Ould Abdel Aziz gagnant dès le premier tour.

Le président de la CENI jette l’éponge

La première réaction viendra du président de la CENI, Sid’Ahmed Ould Dey. Personnalité de grande envergure, il avait été nommé à la tête de la CENI nonobstant ses affinités avérées avec l’un des candidats. Pour les observateurs, les trois premières personnalités de la CENI – président, vice-président et premier membre – ont été finalement choisies sans considération de leurs positionnements politiques. Malgré l’accord de Dakar qui spécifiait qu’il devait s’agir de personnalités indépendantes consensuelles. Pour être consensuels, Sid’Ahmed Ould Dey, Me Hamdi Ould Mahjoub et Me Ahmed Salem Ould Bouhoubeyni l’étaient. Personne ne trouva à y redire. Même si l’on pouvait s’attendre à des attitudes partisanes au sein de l’institution.

Le 23 juillet, Ould Dey publie un communiqué alors que la commission venait de recevoir le courrier du Conseil Constitutionnel lui demandant de répondre aux recours déposés par les différents candidats contestataires. La veille, la CENI avait publié une déclaration dans laquelle elle soulignait que «les opérations relatives au fichier électoral, à la campagne électorale et au scrutin proprement dit se sont déroulées dans des conditions normales et transparentes». Tout en se félicitant de la «parfaite collaboration de l’administration qui a fait preuve de neutralité et de vigilance et note avec satisfaction l’élaboration d’un code de déontologie auquel les différents candidats ont adhéré».

Sans oublier de regretter «néanmoins quelques imperfections qui ont été signalées par-ci, par-là sans pour autant avoir une influence quelconque sur les résultats obtenus». Elle a recommandé enfin «un toilettage des textes relatifs aux élections, une uniformisation des guides des opérations électorales du Ministère de l’Intérieur et de la CENI, une rigoureuse surveillance de la circulation de l’argent lors des campagnes électorales de sorte à protéger les électeurs qui en sont les principales victimes et recommande à cet égard l’application effective de la loi sur le financement des campagnes électorales». On était le 22 juillet…

«Ayant constaté comme beaucoup d’autres que les élections présidentielles du 18 juillet courant se sont déroulées normalement dans la forme, les plaintes que j’ai reçues ainsi que les recours adressés au Conseil Constitutionnel ont semé le doute dans mon esprit sur la fiabilité de ces élections quant au fond. C’est pour cela et pour ne pas être en contradiction avec ma conscience, j’ai décidé de présenter ma démission de la présidence de la CENI pour compter de ce jour». Le texte était visiblement traduit de l’Arabe. Une traduction pas forcément conforme. C’est pourquoi nous vous proposons ci-après la traduction que nous trouvons plus fidèle : «Ayant constaté comme d’autres que les élections présidentielles du 18 juillet courant se sont déroulées normalement dans la forme, mais étant donné que les plaintes reçues par la CENI en plus des recours déposés au niveau du Conseil Constitutionnel, ont semé le doute dans mon esprit, m’empêchant d’être tranquille sur la fiabilité de ces élections quant au fond.

C’est pour cela et pour ne pas continuer à cautionner ce qui ne me perturbe, j’ai décidé de présenter ma démission de la présidence de la CENI pour compter de ce jour». La différence réside dans la reconnaissance dans le texte original d’avoir accompagné le processus de validation jusqu’à un certain niveau. En effet, la veille, lors de la réunion d’évaluation, seul Sidi Ould Yessa s’était opposé aux conclusions proposées dans la déclaration. Ce qui explique peut-être qu’aucun autre membre de la CENI n’a démissionné avec le président. Il est vrai que ce texte de déclaration avait été signé par le secrétaire général mais le fait est que l’Assemblée générale de la CENI en avait bien adopté la teneur. Quelle que soit l’appréciation que les uns et les autres font de cette démission, il sera toujours difficile d’en apprécier l’opportunité. Trop tard ou trop tôt ? L’avenir nous dira.

Le bilan de la CENI dirigée par Ould Dey est pourtant largement positif. Malgré le temps très court, la CENI a pu élaborer et mettre en œuvre un plan d’action qui a couvert les besoins en matière de fichier électoral, de sensibilisation des électeurs, de marquage des bulletins, de traitement des litiges et des plaintes, de collecte et de traitement des résultats ainsi que de la création d’un cadre de concertation politique. Tout cela grâce au concours du groupe d’experts (nationaux et internationaux).

L’appel de Ahmed Ould Daddah

«Après les coups d’Etat militaires successifs du Général Mohamed Ould Abdel Aziz, voici venu le temps de son coup d’Etat électoral». C’est ainsi que le candidat Ahmed Ould Daddah commence sa déclaration rendue publique à peine trois heures après la publication de la décision du Conseil Constitutionnel par laquelle il rejetait les recours déposés la veille par trois candidats qui contestent les résultats.

«En se faisant proclamer aujourd’hui «président de la République» sans que fût examiné le recours motivé que j’ai présenté devant le Conseil Constitutionnel, le Général Mohamed Ould Abdel Aziz reste conforme à sa méthode de mépris des institutions et du passage en force». Pour Ould Daddah, «ce recours devant le Conseil Constitutionnel demandait deux actions simples mais décisives : le recomptage des voix et l’analyse chimique des bulletins de vote». Toujours selon lui, «le Général Mohamed Ould Abdel Aziz se dénonce lui-même et poursuit son coup d’Etat permanent».

Après quoi, Ould Daddah en appelle au «peuple mauritanien dans ses différentes composantes -hommes et femmes, jeunes et vieux, humbles citoyens et faiseurs d’opinion- à rejeter ce nouveau coup d’Etat et à engager toutes les formes de lutte démocratique pour défendre leur droit de choisir librement leurs gouvernants, leur liberté, leur dignité, la paix civile et la stabilité du pays». Il en profite pour saluer «tout particulièrement la démission courageuse du Président de la CENI qui a refusé d’entériner cette mascarade électorale». Avant de préciser qu’il compte «sur tous pour sortir la Mauritanie de cette impasse dans laquelle elle est installée et je réaffirme ma disponibilité et mon engagement à coordonner mon action avec toutes les forces démocratiques qui rejettent les régimes dictatoriaux issus des coups d’Etat militaires».

Par ailleurs, Ould Daddah a annoncé la démission prochaine des ministres RFD du gouvernement d’union nationale. Rappelons qu’au terme de l’Accord de Dakar, le RFD qui est l’un des trois pôles politiques aux côtés du camp de Ould Abdel Aziz et du FNDD, a eu sept fonctions ministérielles dont la défense, la communication, les finances et le secrétariat général de la présidence. Il est à remarquer que dans sa déclaration, Ould Daddah ne fait pas référence à cet Accord justement. Comme il ne parle ni de son parti ni de ses partenaires du FNDD.

Jusque-là pourtant, Ould Daddah est toujours apparu aux côtés des autres candidats contestataires. Messaoud Ould Boulkheir, candidat du FNDD, Ely Ould Mohamed Vall, candidat indépendant et, pour un moment, Hammadi Ould Meimou qui devait finalement reconnaître les résultats. La dernière fois que les deux premiers étaient apparus ensemble, c’était lors de la conférence de presse qui avait suivi le dépôt des recours auprès du Conseil Constitutionnel. Ce jour-là, le candidat Ould Mohamed Vall avait déserté les lieux préférant envoyer son directeur de campagne.

Dans leur déclaration commune, les plaignants ont affirmé que «les observateurs internationaux venus suivre l’élection du 18 juillet 2009, n’ont pas une connaissance suffisante, ni du paysage politique, ni des usages et coutumes du pays». Avant d’ajouter que «lesdits observateurs ne peuvent donc exprimer dans ces conditions qu’un point de vue hâtif, superficiel et forcement subjectif sur lequel, il serait tout à fait aléatoire de fonder un jugement solide». Tout en dénonçant des "fraudes massives", ils ont quand même refusé de donner des preuves concrètes ou dé détailler le contenu des recours. Se contentant de rester dans les généralités parlant de manipulation du fichier électoral, des usages de faux, de l'utilisation frauduleuse de produits chimiques sur les bulletins ainsi que des votes d'étrangers, notamment du Sénégal… L’un d’eux parlera de «fraude industrielle, technologique et chimique», sans plus de détail.

Le rêve de Messaoud Ould Boulkheir

Pathétique, Ould Boulkheir quand il prend la parole pour remercier ses amis lors d’une réception dans sa résidence de Teverit (25 km à l’est de Nouakchott). Il parle d’abord de ce que cette élection a représenté pour lui. La réalisation d’un rêve qu’il estimait impossible. Celui de voir des mauritaniens de toutes origines l’accepter parmi eux, puis comme leur candidat à une élection aussi importante que la présidentielle. De quoi expliquer que les moments d’intenses émotions de la campagne n’étaient feints. Il remerciera particulièrement les femmes du front et ses militants qui l’ont épaulé pendant cette année d’intense lutte.

Ould Boulkheir parlera ensuite de cette victoire de tous. Le front a réalisé ses objectifs en remettant le pays sur le chemin de la constitutionnalité. Il a réussi en faisant échec à l’agenda unilatéral du 6 juin. Il a réussi en obtenant l’Accord de Dakar qui est une grande chance pour la Mauritanie. C’est là l’occasion de bâtir un fondement nouveau pour une Mauritanie réconciliée et apaisée, dira-t-il en substance. Il ajoutera que le front doit tenir compte de l’intérêt du pays, de sa fragilité et de la nécessité de préserver l’esprit de Dakar dans toute prise de décision future. Allusion à une nouvelle position à la suite de la publication de la décision du Conseil Constitutionnel de reconnaître la victoire de Ould Abdel Aziz dès le premier tour. Ce qui a été vite interprété comme un lâchage de la ligne dure par une certaine presse. D’où la mise au point du front.

N’empêche que la manifestation commune (avec le RFD) initialement prévue samedi (25/7) a été reportée sur demande du front. Ce qui augure d’un nouveau positionnement. Même si les premiers responsables du front se refusent à confirmer cela. En réalité, ils ne voudraient pas aller seuls pour se retrouver face à face à Ould Abdel Aziz. Tout est fait aujourd’hui pour poursuivre le dialogue avec le RFD pour le ramener à de meilleurs sentiments. Sera-ce possible ? «On va verra»…


Mohamed Fall Ould Oumère
La Tribune n°461, du lundi 27 juillet 2009



© La Tribune - Juillet 2009

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