dimanche 9 août 2009

Hommage à feu le Professeur Ousmane Moussa DIAGANA (Dembo), ....


.... décédé le 9 août 2001 : par Mohamadou Saïdou TOURE (Thierno), hommage rédigé en septembre 2001.



Hommage à feu le professeur Ousmane Moussa DIAGANA (Dembo),
Cet hommage est publié par la revue « Linguistique africaine » (N°23, en 2003), éditée à Paris : s/c du Pr KABORE, Institut de Phonétique, 19, rue des Bernardins, 75005 Paris, France.
Traduit en soninké par l’APS (Association pour la Promotion du Soninké, l’hommage existe en version bilingue et se trouve dans les numéros 15 et 16 (couplés) de « Sooninkara », « Spécial Dembo », dernier semestre 2001 : APS, 30, rue de Strasbourg, 93200 Saint-Denis, Tél/fax : 01.49.22.01.13 ou 01.49.22.09.76.

Par quel autre attribut que celui de mortel sied-il de nommer un dévot, lorsqu’il est rappelé à sa dernière demeure ? Affirmer la fugacité de la vie dans l’ici-bas, c’est, à certains égards, s’astreindre au refus de toute oraison funèbre. En dépit de la retenue qu’impose le deuil, suite à la disparition de feu le professeur Ousmane Moussa DIGANA (qu’il eût sans doute été plus opportun de laisser reposer en paix), je ne puis manquer d’évoquer le souvenir d’un homme à qui je dois tout.

Ex chef du Département de Littérature et Langue Françaises (LLF) de l’Université de Nouakchott, le professeur DIAGANA y a marqué son empreinte indélébile, aussi bien sur le plan intellectuel qu’humain : son sérieux unanimement reconnu, sa rigueur inflexible, sa politesse toujours si délicate, et son éternel sourire pacifiant, si plein d’une bonhomie qui forçait la révérence. L’image la plus émouvante que dégageait, de prime abord, DIAGANA était l’humilité, cette heureuse harmonie entre la science et la modestie, qui se caractérisait par une faculté d’écoute que je n’ai, pour ma part, nulle part observée ailleurs

Je passerai sous silence les liens de parenté qui nous liaient, ceux d’un oncle et d’un neveu qui auraient pu s’ignorer, n’eût été leur intérêt commun pour la recherche, pour évoquer les circonstances dans lesquelles nous fîmes connaissance, à l’université de Nouakchott : le premier, docte linguiste, coulé dans le moule de la linguistique fonctionnelle de Martinet et le second, jeune bachelier, frais émoulu du lycée et fasciné par la science qu’on lui inculquait : la description scientifique des faits de langues, aux niveaux phonologique, morphologique, syntaxique etc.

La qualité de l’enseignement du grand maître était telle qu’il créa beaucoup de vocations. En effet, des étudiants que tout prédisposait à faire un 3ème cycle de littérature, jetèrent leur dévolu sur la linguistique. Ceux qui n’eurent pas cette opportunité, eurent en revanche, à tout jamais, un attachement indéfectible pour cette discipline, dont ils tirèrent parti des outils d’investigation, opératoires pour décrire, y compris, leurs propres langues maternelles.

Au regard de tout ce que le professeur DIAGANA a apporté à toute une génération d’étudiants mauritaniens, la Mauritanie se rend-elle compte de qui elle vient de perdre ? Cet homme de dialogue qui aimait si passionnément son pays, à qui, ni le racisme, ni le tribalisme, ne fit jamais prendre le large et qui ne voulut jamais monnayer son immense talent en dollars ou en francs français, dans une quelconque université américaine ou française !

Toute la vie de DIAGANA fut un combat pour la justice, la fraternité et la reconnaissance de la coexistence pacifique des différences, une véritable gageure dans un contexte de tension intercommunautaire. Né en 1951 à Kaédi, à l’extrême sud de la Mauritanie, au cœur du Fuuta Tooro où le soninké a un statut secondaire par rapport au pulaar, qui y est la langue véhiculaire, il vécut donc dans le plurilinguisme dès sa tendre enfance : usage du soninké en famille, du pulaar hors de la concession familiale et apprentissage de deux autres langues, l’arabe et le français, respectivement aux écoles coranique et française. C’est ce riche patrimoine linguistique, acquis dès la prime enfance, qui fut le terreau qui allait nourrir la passion du futur linguiste pour les langues. DIAGANA ne tarda pas à faire le triste constat que, contrairement au pulaar et aux autres langues africaines qui avaient fait l’objet de beaucoup d’études scientifiques, le soninké était le parent pauvre de la description linguistique.

Dès lors, il se fit un devoir de faire toutes ses recherches doctorales sur le soninké : en 1980, il soutint sa thèse de 3° cycle à l’Université René Descartes, Paris V : Approche phonologique et morphologique du parler soninké de Kaédi, Mauritanie (668 pages). Avec une pénétration d’esprit hors pair, DIAGANA passe au crible de sa fine observation tout le système phonologique de sa langue maternelle, et ses analyses lumineuses éclairent des faits dont le statut linguistique était jusque-là ambigu. En 1984, DIAGANA soutint, toujours à l’Université de Paris V, sa thèse d’Etat : Le parler soninké de Kaédi : syntaxe et sens (1025 pages). Dans cette dernière thèse, il aborde d’autres aspects du soninké, en l’occurrence la syntaxe et la sémantique. Ne circonscrivant pas son propos à l’analyse linguistique proprement dite, il fait intervenir, cette fois, la sociolinguistique. Ainsi, par ce travail grandiose de pionnier, rendit-il le plus grand service qu’on pût rendre à une langue, celui de voir remarquablement décrits tous ses aspects. Mieux, DIAGANA eut la bonne idée de porter à la connaissance du public ses recherches doctorales en publiant, en 1995, chez L’Harmattan, La langue soninkée (529 pages), qui est un condensé de sa thèse d’Etat.

Ce travail de description linguistique fait, DIAGANA s’attela à la tâche de sauvegarde du patrimoine culturel soninké, en transcrivant et traduisant beaucoup de chants. Ce qui aboutit à la publication, en 1991, à L’harmattan aussi, des Chants traditionnels du pays soninké, livre couronné par le prix Robert Delavignette.

Les années quatre-vingt-dix, avec leur cortège de malheurs en Mauritanie, interpellent le poète humaniste. A une Mauritanie empêtrée dans ses antagonismes sociaux et ethniques il en substitue une autre, diverse et fraternelle, dont il se fait le héraut.

Dans son premier recueil, Notules de rêves pour une symphonie amoureuse (éditions Nouvelles du Sud, 1994, 113 pages), le poète apostrophe une Muse imaginaire, protéiforme ; tantôt sous les traits d’une Indienne, tantôt sous ceux d’une Africaine, etc. Si le mode vocatif du chant donne l’impression d’un rapport d’interlocution immédiate, il n’empêche que l’ancrage de l’énonciation est mouvant. Ce parti pris pour une géographie volatile et fantomatique est révélateur de la volonté du poète de s’incruster dans tous les espaces telluriques de la Race Humaine, une manière de concilier les antipodes, d’unir, de manière indissoluble, l’ego et l’alter.

Avec son second recueil, Chergiya. Odes lyriques à une femme du Sahel (éditions Le bruit des autres, 1999, 67 pages), on retrouve la même veine dionysiaque : le même lyrisme laudatif célébrant une Muse. Mais, cette fois, elle se « mauritanise ». DIAGANA exalte la beauté d’une Mauresque, comme Qays celle de Leïla. En célébrant une passion amoureuse pour une Mauresque, le poète conjure une séparation de fait entre une Mauritanie du Nord – « arabo-berbère » - et une Mauritanie du Sud – « négro-africaine » - qui ne doivent sans doute ici leur distance infinitésimale que grâce au pouvoir fusionnel de la Poésie.

J’ai discuté avec DIAGANA une semaine avant son décès. Je lui disais que je m’apprêtais à me rendre au Mali pour éclairer les zones d’ombre d’une transcription et d’une traduction que j’avais faites de trois épopées peules, contées en pulaar malien. Il me disait qu’il était sur le point de se rendre à Paris pour mettre la dernière main sur son Dictionnaire soninké-français, qu’il projetait de publier : encore une preuve de son don de soi total pour la langue soninké ! Il était question qu’on se revoie à Paris, dans le courant du mois de septembre, comme à l’accoutumée. Le destin en a hélas décidé autrement !

La Mauritanie a perdu l’un de ses fils les plus valeureux, la langue soninké son pilier le plus solide, la linguistique, tout comme les Lettres africaines, l’une de ses plumes les plus brillantes, et la famille humaine l’un des grands chantres de son unité !

Puisse-t-il reposer en paix !

© Mohamadou Saidou TOURE (Thierno) : hommage rédigé en septembre 2001.

Source : AVOMM.com

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