samedi 18 avril 2009

Sites des Réfugiés : Un retour volontaire, devenu cauchemar !




Sites des Réfugiés : Un retour volontaire, devenu cauchemar !
De Keur Madické à Madina Bababé en passant par Lycée Rosso, Pk 3 et Houdallaye, les réfugiés mauritaniens rentrés dans le cadre de l’accord triparti signé entre l’Etat du Sénégal, la République Islamique de Mauritanie et le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) sont toujours dans l’expectative d’une meilleure amélioration de leurs conditions de vie. Aujourd’hui, ils éprouvent, la mort dans l’âme, le sentiment d’être abandonnésà leur sort. Reportage.

Mardi 7 avril 2009. 10h. Site Keur Madické. A une dizaine de km de Rosso. Une zone à vocation agricole. Dans le cadre du rapatriement volontaire au milieu des années 90, 5 familles avaient décidé de retourner à leur pays d’origine. En 2008, sous Sidi Mohamed O. Cheikh Abdallahi, 159 réfugiés ont pu regagner leur pays.

A leur retour, ils trouveront, à leur grande surprise, leurs terres occupées par Ould Ghaddour qui y aménagea une digue. Celle-ci, construite après la déportation, étouffe considérablement le village.

Cette situation ne se fait pas sans heurts entre les nouveaux occupants et les rapatriés qui courent toujours derrière la restitution de leurs terres. "C’est la seule solution d’apaiser les tensons", analyse Ablaye Mbodj. Dépités profondément, ils n’ont d’autre choix que de se faire leur propre raison. À chaque fois qu’ils s’adressent aux autorités locales, celles-ci leur font savoir, pour se débarrasser d’eux, que les litiges fonciers ne relèvent pas de leurs compétences.

En effet, leur ennui a commencé bien avant leur déportation en 1989. Déjà, sous Mohamed Khouna O. Haidallah, on commençait à accorder des titres fonciers à certaines personnes. Depuis leur retour en Mauritanie, en plus de dénoncer l’implantation de cette digue, ils ont adressé toutes sortes de correspondances aux autorités.

"Il y a eu toujours des promesses de nous restituer nos terres", raconte Ma Faly Mbodj partagé entre l’illusion et le désespoir. "Les choses deviennent de plus en dures pour nous", dit-il.

Ceci est d’autant plus vrai qu’ils voient tous les jours d’autres venir s’accaparer de leurs terres du fait de la réforme foncière de 1984 élaborée sous Maaouiya O. Sid Ahmed Taya. Depuis, les choses sont devenues plus compliquées.

En plus du combat permanent qu’ils mènent pour qu’on leur restitue leurs terres, ils vivent une situation des plus précaires. Dans de telles circonstances, déchanter devient facile. "On s’attendait à vivre dans des bâtiments. Mais, on s’est retrouvé avec des hangars", s’est désolé Ma Faly Mbodj qui ne pense pas, malgré tout ce désespoir, à retourner au Sénégal.

Depuis leur retour, les rapatriés vivent d’un programme de partenariat entre le HCR, le PAM, le CSA et l’ANAIR dénommé "Vivres contre travail (VCT)" pour leur permettre de ne pas être dépendants. "Nous ne pouvons pas vivre sans nos terres. On ne peut pas continuer à vivre avec le programme VCT", insiste Moussa Lô.

Dire que leurs conditions sont difficiles, c’est peu dire. On ne mesure pas encore l’ampleur de la situation catastrophique et humanitaire dans les sites. Ici, tout est déficitaire. Tout est aussi à construire : écoles, centres de santé, latrines, électrification…Quant à la restitution des terres et le dédommagement des biens spoliés, ce n’est pas encore demain la veille.

La difficile intégration

Un retour digne, tous les réfugiés y croyaient dur comme fer. Un an après leur retour en Mauritanie, ils sont tous désappointés ou presque. La déception a vite pris place dans leur cœur. Les propos qu’ils tiennent sont empreints d’amertume et de plaintes. Derrière leurs confidences se cache une véritable désillusion. "On est déçus", fulmine Thierno Diallo.

La construction d’autres chambres n’est pas encore à l’ordre du jour. Celles qui sont déjà construites ressemblent à des fantômes. Comble de l’irrespect, plus d’une dizaine de personnes, hommes, femmes et enfants s’entassent dans une pièce 4 m². "Nous sommes fatigués. C’est vraiment indigne et inhumain", lâche Moussa Lô.

Dans certains sites comme celui du Lycée Rosso composé majoritairement de rapatriés fonctionnaires, les revenants sont obligés de brader les vivres qu’on leur distribue pour assurer leur survie. Dans ces sites, l’habitat est précaire et les latrines inexistantes. "Pour faire nos besoins naturels, on prend une bouteille. On s’enfonce dans la nature", ironise Amadou Ndiaye. "Si c’était à recommencer, je ne vais pas revenir", poursuit-il en accusant l’Association pour la Lutte contre la Pauvreté et le Sous-développement (ALPD) et l’ANAIR d’avoir failli à leur mission.

Au sujet de l’éducation, tous les sites ne disposent pas de salles de classes dignes de ce nom. Ce sont des tentes d’infortune qui ont été montées pour servir de classes. L’établissement scolaire le plus près est à moins d’une dizaine de km. "Dans ces conditions, mieux vaut construire des écoles dans les sites", confie Oumar Guèye.

D’un site à l’autre, les problèmes se succèdent et se ressemblent. A cela se greffent des problèmes d’intégration ou de cohabitation. Au sujet de la santé aussi, tous les sites sont logés à la même enseigne. Seul Keur Madické dispose d’un centre de santé construit grâce à l’Autorité Arabe pour l’Industrialisation et le Développement Agricole (AAIDA). Ici, aussi, les populations ne peuvent pas se payer les molécules de recouvrement.

Pour autant, malgré tous ces problèmes, le processus de rapatriement des réfugiés du Sénégal continue toujours, dans la précipitation. L’essentiel pour les autorités c’est que les réfugiés rentrent en Mauritanie. Dans ce tohu-bohu, les nouveaux rapatriés n’ont droit qu’à une couverture et une moustiquaire. Sans bâche ! Sans tente ! Sans accessoires !

La vie dans les sites se résume à une chose : souffrir ! Impossible de passer la journée sous une bâche en cette période de forte chaleur. Les femmes et les enfants sont les plus exposés et tombent facilement malades. Ils ne trouvent la paix qu’à la tombée de la nuit.

Dans les sites souvent enclavés, les rapatriés vivent dans des conditions indécentes. La pauvreté est extrême. Hélas, il faut tout souhaiter sauf tomber malade ! Assise sous l’ombre d’un hangar, Ramata Moussa Dia, désespérée, n’a pas manqué de fustiger leurs mauvaises conditions de vie et d’existence. "Il fait très chaud, dit-elle. On souffre souvent de migraines à cause de la forte chaleur. A certaines heures de la journée, l’eau devient imbuvable. Pour se soigner, c’est le chemin de la croix".

Les besoins des rapatriés sont réels. Aujourd’hui, peu de réfugiés disposent de leurs pièces d’Etat civil. Leur délivrance se fait à compte-gouttes. Sans exception, tous les sites connaissent ce même problème. Dans le site de Houdallaye par exemple qui compte plus de 1.300 âmes, moins de 400 personnes ont reçu leur acte de naissance et 143 personnes leur carte d’identité nationale.

En plus, des imperfections criardes ont été relevées dans les actes de naissance. Le HCR a été saisi dans ce sens pour suivre cela. L’ampleur de ce problème est tellement grande que certains se sont interrogés sur leurs fondements.

Les insuffisances sont telles qu’on se demanderait où est passé la manne financière donnée par la Communauté Internationale pour appuyer le processus de rapatriement des réfugiés mauritaniens au Sénégal. Et où sont passés les fonds gérés par l’ANAIR, une agence réputée par son opacité de gestion et sa communication erronée. Déjà, on prépare le retour des réfugiés mauritaniens du Mali. Ne risquent-ils pas de connaître la même situation que ceux déjà rentrés ? Un fiasco de plus est sans doute prévisible !

Confidences de réfugiés sur les évènements de 1989 qui ont déjà 20 ans Ils ont subi l’humiliation dans leur chair et la meurtrissure dans leur âme. Ils sont marqués au fer rouge à jamais par les évènements de 1989 où une véritable campagne de terreur a été orchestrée à l’époque par le régime de Mâaouiya Ould Sid’Ahmed Taya.

Pour la postérité et l’histoire, ils acceptent aujourd’hui de se confier, de relater le drame qu’ils ont vécu dans leur propre pays. Aujourd’hui, s’ils ont accepté de se confier, c’est pour lutter contre l’oubli. C’est aussi pour qu’un jour la Mauritanie, leur patrie, soit un Etat de droit, de Démocratie, de Justice et d’Egalité. C’est pour aussi sonner le glas du régime exclusionniste, de la répression et surtout de l’impunité.

Les évènements de 1989 ont vingt ans déjà. Il faut le vivre pour se faire comprendre. Des dizaines de milliers de Noirs mauritaniens ont été expulsés de force du territoire tandis que des centaines d'autres ont été torturés ou tués. Les miraculés de ses évènements se souviennent encore.


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Témoignage

Mamoudou Abdoul Sow

J’ai été déporté vers le Sénégal à partir de Boghé le 13 juin 1989. Je suis parti à Démet (Sénégal) où je suis resté pendant 18 jours. Après, je suis parti à Ndioum. J’y suis resté pendant 19 ans. Jusqu’au jour où le rapatriement a commencé. J’ai décidé de rentrer volontairement. J’habitais à Bouhadide lorsque les évènements de 1989 éclatèrent.

Un jour, les forces de l’ordre et de sécurité sont descendues dans notre village. Ils réunirent tous les habitants du village. Par la suite, ils nous embarquèrent à bord d’un camion benne à destination de Boghé. Arrivés là-bas, on nous confisquera toutes nos pièces d’Etat civil. A Boghé, on passera la nuit au camp de la Garde Nationale. On sera tous dévêtus. Tout ce qui nous restait, c’était nos linges de corps. On est restés toute la nuit dans le camp sans fermer l’œil. Jusqu’à l’aurore.

Après, ils nous embarquèrent dans des pirogues pour traverser le fleuve Sénégal. Dieu nous a épargné, ce jour-là, puisqu’on n’a pas été victimes de mauvais traitements dégradants et inhumains. Le HCR s’est occupé de nous pendant plus de 5 ans. Les années qui suivirent furent très dures. Je subsistais au Sénégal grâce à certaines tâches occasionnelles que j’accomplissais.

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Alassane Ndongo

J’habitais à Oyrel dans le département d’Aleg. La gendarmerie et la Police sont venues nous récupérer dans notre village en compagnie du gouverneur de la région vers 10 heures. Ils sont repartis pour revenir cette fois-ci avec un camion benne vers 14 heures. Le commandant de la gendarmerie nous dénigrait en affirmant que nous n’étions pas de vrais mauritaniens.

Poursuivant ses propos racistes, il affirmera aussi que nous étions indignes et indésirables en Mauritanie. Par la suite, il donna l’ordre qu’on nous embarque à bord d’un camion benne. Tout le village a été déporté. Ils nous dirigèrent au camp de la garde nationale de Boghé.

On sera enfermé dans des cellules bien protégées. Personne ne pouvait s’échapper. On a été fouillé de fond en comble et toutes nos pièces d’Etat civil retirées. On n’osait pas piper un mot. Ils récupèrent aussi les parures des femmes sans leur rien laisser du tout. On passera la journée sous une forte chaleur, sans abri. On ne pouvait pas boire. On ne pouvait le faire que pendant la nuit.

A l’aube, après la prière, l’ordre sera donné de nous déporter vers le Sénégal. On était escorté comme des malfrats. Ils feront traverser les hommes d’abord. On nous sépara de nos femmes en les faisant passer la nuit dans le camp jusqu’au lendemain pour les faire traverser. On ne les retrouvera que plus tard. Nous sommes restés à Démet pendant 45 jours. Après nous sommes partis à Ndioum où le HCR nous a pris en charge pendant 5 années.

Pendant notre déportation, on ne se plaignait pas du tout puisqu’on a été bien accueilli par les populations et les autorités sénégalaises. Nous étions dans de bonnes conditions. Si, aujourd’hui, nous sommes revenus, c’est parce que nous nous sentons entièrement mauritaniens. Pourtant, nous pouvions rester comme tant d’autres au Sénégal. Mais, on ne l’a pas fait. Je préfère mourir en Mauritanie qu’au Sénégal.


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Thierno Kalidou Mamoudou Sow

Avant notre déportation, j’habitais à Bouhadide. On y vivait avec des harratines. On y a construit ensemble une école et un centre de santé. On a fondé même une coopérative. On cohabitait de façon harmonieuse. Les choses se sont dégradées lorsque les évènements ont éclaté. Un jour, les forces de l’ordre et de sécurité sont venues nous chasser du village. Ils brûlèrent nos maisons. Ils nous firent toutes sortes de brimades.

Pendant 9 jours, ils nous ont enfermés dans une maison. Ils ont calciné nos bagages. Dans la foulée, ils brûlèrent nos livres. Même le Saint Coran n’a pas été épargné ! Ils nous dépossédèrent de nos biens et de notre bétail avant de nous embarquer à destination de Boghé. Ce jour-là, on est parti avec le cœur meurtri. Aujourd’hui, grâce à Allah, nous sommes revenus !

Au Sénégal, on ne se plaignait pas du tout. Jusqu’au jour où le gouvernement mauritanien a décidé de nous rapatrier. On n’a pas été réinstallé à notre village. On n’a pas été indemnisé ni nos maisons restituées Mais, on nous a construit des chambres. On attend toujours que nos conditions de vie s’améliorent. Si, je suis revenu, c’est parce que tout simplement je me sens mauritanien à part entière.
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Points focaux du Fonadh : Qu’est-ce que c’est ?

Du 7 au 12 avril 2009, une mission technique composée de l’ADPEC, du Collectif des fonctionnaires de Police et du Collectif des rescapés et anciens détenus politiques s’est rendue dans les wilayas du Brakna, du Gorgol, du Guidimakha, du Trarza et de l’Assaba.

L’objectif de cette mission, entre autres, est de procéder, après trois mois d’activités, à l’évaluation des réseaux relais (points focaux) institués en novembre 2008 pour le suivi et le monitoring régulier du rapatriement des réfugiés, dresser un bilan des opérations et de l’implication du Fonadh.

Le rôle de ces points focaux est de participer activement au recensement des réfugiés et de dresser régulièrement un bilan de leur situation générale dans les sites. Pour le moment, ce sont seulement les points focaux du Gorgol, du Brakna et du Trarza qui sont opérationnels. Pour ceux des wilayas du Guidimakha et de l’Assaba, ils sont en stade de mise en place en attendant que le rapatriement des réfugiés mauritaniens du Mali commence.

Ces points focaux vont permettre au Fonadh de disposer des informations au sujet du suivi du rapatriement des réfugiés. A partir de ces informations collectées sur le terrain, un observatoire pour le suivi de la situation des réfugiés rapatriés et des déportés sera mis en place, à la fin de l’année 2009.

Un tel travail exige des moyens financiers et humains considérables et le Fonadh n’a pas les moyens de sa politique. C’est dans ce cadre qu’il va recevoir du Programme d’Appui à la Société Civile financé par l’Union Européenne des fonds afin qu’il puisse équiper les points focaux dans le cadre de leur accompagnement du retour des réfugiés.

Ces points focaux vont aussi mener un travail de recherche et de recensement exhaustif au sujet des victimes de la déportation et du Passif Humanitaire. A la suite des échanges des points de vue parfois contradictoires, la mission technique et les points focaux des différentes wilayas ont compris qu’il y avait de la nécessité d’améliorer les insuffisances en termes de présence et d’implication du Fonadh dans l’évaluation des opérations de rapatriement.

Babacar Baye Ndiaye
ducdejoal@yahoo.fr

Source: lerenovateur via cridem

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