jeudi 9 avril 2009

La Mauritanie: un pas en avant, un saut en arrière.







La Mauritanie: un pas en avant, un saut en arrière.

Cette semaine nous célébrons deux évènements majeurs: le cinquième anniversaire du lancement du site Free Speech Mauritania et le vingtième anniversaire des évènements de 1989. Nous félicitons nos lecteurs et lectrices pour leurs loyauté et tous ceux et toutes celles qui ont échappé aux pogroms mauritaniens, nous prions pour les victimes des massacres de Taya et souhaitons bonne chance à ceux et celles qui ont choisi de retourner au pays pour, espérons-le, enfin y rester et échapper aux pogroms à venir.

Mais retenons qu'une nation ne se construit que sur ces exigences fondamentales que sont la liberté, l'égalité et la justice. C'est que le socle sur lequel doit s'édifier une nation est celui de la tolérance. Et cette dernière notion implique l'acceptation des différences mais aussi et surtout leur intégration. Ainsi, se réalise véritablement la paix sociale, paix indispensable au développement. Cette causalité posée, on comprend alors tout l´intérêt porté aujourd´hui á la démocratie en Afrique. Et comme le souligne à juste titre le rapport des Assises sur l´Afrique tenues à Paris sous l´égide de L´UNESCO, du 06 au 10 février 1995, "L´Afrique a besoin de la démocratie parce qu´elle est le chaînon manquant entre le développement et la paix".



Il faut noter que la démocratie en Afrique reste encore boiteuse. Si dans certains pays la démocratie a triomphé, dans d´autres, les institutions démocratiques servent á embellir les dictatures en leur donnant le masque indispensable à cacher leur dartre. Rien de plus logique car: “Ce n´est jamais dans l´anarchie que les tyrans naissent, vous ne les voyez s´élever qu´à l´ombre des lois ou s´autoriser d´elles". Et notre chère Mauritanie offre encore le plus édifiant des exemples.

La Mauritanie demeure encore un pays à double vitesse. Deux communautés vivent séparées et inégales: la communauté blanche maîtresse du pouvoir politique et économique et de la machine de répression et la communauté noire bâillonnée, enchaînée, constamment humiliée, taillable et corvéable á merci et enfin reportable, “reinstallable” et “indemnisable” à merci. C´est vous dire qu´entre le discours officiel qui se veut ouvert et la réalité de la vie dans ce pays, il y a un fossé que les differents régimes essayent de combler en convoquant périodiquement des "élections" dont le vainqueur est connu d’avance. L’election de Juin 2009 ne fera que confirmer cette logique historique mauritanienne.


Le problème mauritanien n’est pas le résultat d’une election mal organisée mais plutôt celui d’un pas historique faussé dès le départ. On ne rectifie pas une erreur historique par une élection presidentielle, on ne construit pas une nation sur un cimetière d’injustice et par le sang des victimes. Donc l´urgence c´est de diagnostiquer ce régime malade, d´étudier sa nature profonde. Historiquement, pour un régime sans projet politique, la
seule chance de survie réside dans la répression. Il devient ainsi porteur d´une idéologie.
Ainsi s´explique le hiatus noté plus haut entre le discours et la réalité car "une proposition idéologique est une proposition qui tout en étant le symptôme d´une réalité différente de ce qu´elle vise, est une proposition fausse en tant qu´elle porte sur l´objet qu´elle vise". Une idéologie est pour Althusser une pensée déguisée; une pensée "masquée", "une pensée qui refuse de dire son nom" pour P. ANDJEMBE. Et puisqu´elle est masquée, "une idéologie ne laisse pas émerger n´importe quoi, dans son champ de vision". Cela dit, une idéologie se meurt lorsqu´elle est démasquée car on découvre alors que l´invisible fait contrepoids au visible.



Et en Mauritanie cette idéologie veut qu´il n´y ait pas de Nation dans ce pays. Cette politique de division est notable dans tous les domaines de la vie.


Les évènements de 1989 ne sont que le sommet d’une pyramide de destruction politique dont le fondement a été érigé en 1987. Cette année offre au régime de l’époque l´occasion de concrétiser son plan d´extermination de la communauté noire. Cette année, le "putsch" des officiers noirs, bien que n´ayant jamais connu un début d´exécution, allait sonner le glas. Il permet au régime d´atteindre ces deux objectifs: d´une part "confirmer" auprès de la communauté blanche l´image qu´il avait peinte du noir et puis décapiter l´élite noire(civile et militaire). Désormais, le régime a carte blanche et une adhésion totale et sans faille de la majorité de la communauté blanche. C´est alors l´amorce du deuxième point en avril 1989 et dont l´expression la plus visible fut la déportation de plus de 120 000 hommes, femmes et enfants vers le Sénégal et le Mali. Après ce pogrom, le régime se devait d'inventer un bain rituel pour se laver les mains: ce fut les "élections" de 1992 auxquelles seul le dictateur était finalement invité. C'est alors le couronnement de la mascarade de TAYA. Toute une structure politique fut alors mise en place pour maintenir le monstre au pouvoir. Comment ? En lui fournissant du sang et encore du sang d'innocents mauritaniens. Rappelez-vous du serpent Wagadu Biida. Mais les populations avaient fini par le décapiter. Et Tacite, dans la vie d´Agricola, fait préciser au chef breton Galgacus les impitoyables méthodes de l´impérialisme romain: "Là où ils ont tout dévasté, ils appellent cela la paix". Ce fut aussi l'opinion de TAYA.
Depuis quelques mois, la Mauritanie débat des thèmes historiques majeurs: le retour, le passif humanitaire et l’indemnisation. De la résolution de ces questions dépend la résurrection de la Mauritanie. A propos de l’indemnisation, notre position, en tant que victime, est claire: l'indemnisation monétaire est un crime historique. En effet, depuis son indépendance, l'humiliation des Noirs en Mauritanie a servi de sève nourricière aux differents régimes. Faut-il le rappeler, les événement de 1989 ne sont en effet que la phase la plus récente d'un processus historique. Il est vrai que ces événements de 1989 demeurent encore une plaie ballante et les discours récents ne font que confirmer cela.

Depuis l'avènement du régime Post-CMJD en Mauritanie, la négraille a réconcilié avec l'espoir et une fois de plus pense trouver enfin le "messie". Elle n'a appris, malheureusement, aucune leçon de cette phase récente de notre histoire politique.

Le retour amorcé des réfugiés est vu par beaucoup comme le pas nécessaire pour réconcilier les différentes composantes du pays. Pour une partie de l'opposition, l'annonce en elle même est suffisante pour qualifier le nouveau régime de " sauveur" et chanter la sainteté de l'homme à sa tète. Le retour est automatiquement passé à la tête des priorités et certains réfugiés ont commencé à compter l'argent virtuel de l'indemnisation. Ceci est une erreur monumentale et un crime historique pour les générations à venir.

En effet, on ne répare pas un génocide par un chèque, une humiliation par un détour par la banque, une déportation par l'octroi d'un billet retour, une phase historique par une monnaie dévaluée. La première étape doit être une admission par le nouveau gouvernement que les événements de 1989 ne sont pas spontanés; ils sont le résultats d'une volonté politique et par conséquent, l'Etat doit présenter ses excuses aux victimes.
Le nouveau homme fort de Nouakchott doit s'adresser à la Nation et à tous les réfugiés et dire pardon pour ces crimes et pardon pour n'avoir pas osé lever le petit "finger" pour dénoncer ces actes pendant prés de deux décennies. Pardon pour mon hibernation historique et pardon pour notre silence alors qu'une partie de notre pays était
"pogromée". Il faut peut-être aussi rappeler à nos compatriotes qu'on ne répare pas un acte historique par une monnaie "évaluée" et surtout pas avec une qui est totalement dévaluée. Les victimes des événements de 1989 doivent dire non au " bloody ouguiya" de l'indemnisation et dire OUI à " l'historisation" de cette phase. Elles doivent dire non aux appels de certains opposants qui pensent que l'argent peut panser notre humiliation et que le sourire du banquier peut effacer nos larmes indélébiles.

Le génocide 1989 est un acte historique et il doit être réparé par un acte historique. Au lieu de votre bloody argent, nous voulons:

- Une reconnaissance officielle de cet épisode politique par l'Etat.

- L'instauration d'une commission chargée d'étudier cet épisode politique pour que de tels événements ne se reproduisent.

- L' instauration d'une commission Justice et Réconciliation.

- Une Journée Nationale des déportés.

- Un musée au souvenir des victimes, une sorte de Gorée du désert.

- Des Monuments dans toutes les grandes villes de la Mauritanie commémorant la tragédie de 1989.

- L'introduction de ces événements dans les cours d'histoires du primaire à l'université pour les génération à venir.

Ces étapes permettent de régler le passé, se réconcilier avec le présent et éduquer et conseiller le future.

Voila le type d'indemnisation qu'il faut réclamer; il est historique et éternel. On ne peut pas estimer l'humiliation et les tortures de 1989 à 2007 en pièces sonnantes et trébuchantes. L'indemnisation monétaire aux crimes historiques de l'Etat est un autre crime, une autre insulte aux victimes des événements de 1989 et pour cela, nous disons non!


Siikam Sy
Chief Editor
Free Speech Mauritania

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