mercredi 8 avril 2009

Règlement du passif humanitaire et réconciliation nationale:Un chemin semé d’embûches








Règlement du passif humanitaire et réconciliation nationale:Un chemin semé d’embûches


LE CALAME

Le chef de l’Etat, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, a, dans sa tournée au cœur du Fouta, fait une annonce qualifiée de «très importante». Au cours de son discours, dans la capitale du Gorgol, l’homme a, ainsi, prôné la réconciliation entre la communauté négro-mauritanienne, victime de toutes les brimades, assassinats, déportations, spoliations, privations de libertés et de citoyenneté, rackets et marginalisations en tout genre – on n’était pas loin de l’Afrique du Sud d’avant Mandela – et le reste de République. Dans ce territoire occupé et meurtri, le général Ould Abdel Aziz a appelé à la paix des cœurs, au pardon, à l’oubli. La population de la vallée, victime de toutes ces exactions a applaudi, apparemment docile, comme elle avait applaudi jadis, Ould Taya et Ely. Mais a-t-elle compris la portée du message que le chef de l’Etat leur a transmis? Nombre d’observateurs en doutent fort et se demandent comment peut-on – certains disent : ose-t-on – d’un seul discours – fût-il celui du chef de l’Etat et général d’une armée accusée d’être au cœur des massacres – tirer un trait sur une page aussi sombre de l’histoire de notre République Islamique, à l’instar de la loi sur la criminalisation de l’esclavage. Ce faisant, le chef de l’Etat ne consacre-t-il pas l’impunité des auteurs de ces terribles exactions? Même si l’on doit reconnaître qu’il s’agit là d’un pas vers la résolution de ce fameux passif humanitaire, qui hante certains militaires et un beaucoup plus grand nombre de civils, la forme et la manière laisse quelque peu perplexe, non seulement les observateurs, mais, aussi et surtout, les rescapés de l’horreur. Le courage est certain, tout autant que les risques, notamment d’omission. En effet, mettre en place une commission dont on ne connaît que le président ; traiter, uniquement, avec le COVIRE, une espèce de dissidence instaurée, selon certains, dans le seul but d’affaiblir le FONADH, jugé trop exigeant dans ses doléances : tout cela fait croire à un «marchandage». Dès lors, se pose un certain nombre de questions. Pourquoi ce qu’on paraissait incapable de résoudre, en dix-neuf mois de transition du CMJD, est devenu, subitement, possible, en sept mois? Comment les mêmes qui avaient piqué une colère, rouge, contre Sidioca, pour avoir osé décider de régler le problème, dans son discours du 29 juin 2008, peuvent s’ériger, aujourd’hui, en anges blancs? Pourquoi une telle précipitation? Pourquoi la commission du colonel Dia, fondée à la sauvette, a-elle choisi de travailler dans la plus grande opacité? Comment a-t-elle procédé, sur le terrain? Qui a identifié les victimes et les rescapés? Qui sont ces imams qui nous rappellent les préceptes de notre sainte religion, alors qu’ils se sont, presque tous, tus, au moment où l’on massacrait, dans le silence des nuits froides d’Inal, de J’reida, des après-midis caniculaires ou des crépuscules, lugubres, de la vallée, alors que la dépravation des mœurs avalait notre société? Ont-ils, jamais, dénoncé ces tares? Ont-ils, jamais, appelé à l’application, stricte, de ces préceptes qu’ils relèvent, aujourd’hui, au pinacle?


Il y a un autre hic : c’est la marginalisation des ONGs et autres mouvements de la société civile, de la LMDH, de la CNDH, des partis politiques qui ont, tous, milité pour le règlement de ces douloureuses atteintes aux droits humains. Pourquoi la commission du colonel Dia a-t-elle choisi d’ignorer les recommandations du plan de la commission de suivi et de gestion du passif humanitaire de juillet 2007, les recommandations des journées nationales de mobilisation pour le retour des déportés et le règlement du passif humanitaire, tenues les 20, 21 et 22 novembre 2007? Autre question : pourquoi, la commission a-t-elle choisi de circonscrire la question aux seuls militaires? N’est-ce pas, là, une manière explicite de reconnaître, à cette armée, la lourde responsabilité des exactions? Ou une façon de dire que cette institution, à qui l’on se refuse à donner un statut clair, une place délimitée dans les rouages de la République, doit être «protégée», au dessus de la loi?

Toujours dans le même registre, mais en se tournant, maintenant, vers les «partenaires» négro-mauritaniens du «règlement», comment les négociateurs du COVIRE ont-t-ils pu en arriver là? Accepter la réconciliation contre de l’argent? Parce que telle est la principale clause de la convention. Contre une marche de soutien au HCE? C’est vrai, on convient, avec certains responsables de COVIRE, que rester des années, privés de revenus, traîner des invalidités, n’est pas facile. Mais fallait-il, pour autant, accepter ce marchandage? Les propos d’un des rescapés, officier de son état, est révélateur de cet état d’esprit. Il a déclaré qu’il ne croit plus à cette République, au succès de son combat pour la communauté négro-mauritanienne, il a beaucoup trop souffert et ne peut plus continuer, c’est pourquoi a-t-il accepté de suivre le général pour trouver une solution à son calvaire. Tous les membres du COVIRE pensent-ils comme ça ?

Autant de questions que les observateurs se posent, au lendemain de la déclaration du chef de l’Etat. Bien évidemment, les partis politiques, la coordination des réfugiés au Sénégal et au Mali ont, aussitôt, publié des communiqués, dénonçant ce qu’ils ont qualifié de «marchandage et de récupération politique».

L’impunité des tortionnaires


Les intellectuels et cadres de la Vallée avaient tendu l’oreille, espéré voir le chef de l’Etat frapper fort, marquer l’histoire de la Mauritanie, mais, malheureusement, ce qu’il a déclaré, à Kaédi, n’a rien d’extraordinaire, ne présente rien de nouveau. Avouer que des victimes innocentes ont souffert de la barbarie et de l’ignorance ne suffit pas. Maaouya et Ely étaient passés par là, ont discouru à la même tribune, sans jamais accepter d’assumer la responsabilité des massacres, commis au sein de l’armée dont ils étaient commandants en chef. Le chef de l’Etat était attendu sur ce point précis. Il aurait pu aller plus loin, faire bouger les lignes, en reconnaissant et assumant la responsabilité de l’armée, de l’Etat dont il est chef suprême, en déclarant, notamment, caduque la loi d’amnistie votée, à la sauvette, sous l’instigation de parlementaires négro-mauritaniens, par l’Assemblée nationale, en 1993. D’autres, comme le général Ali Seibou, au Niger, après que l’armée ait tiré, à balles réelles, sur les étudiants qui manifestaient, ont eu ce courage. C’est une démarche intelligente et responsable que de reconnaître la faute et de la dépasser. C’est là un devoir de mémoire, celui de la justice vient après. Voilà ce que la Vallée et tous les hommes épris de justice attendaient du chef de l’Etat, sur cette terre souillée de sang. Au nom de qui le chef de l’Etat demande-t-il pardon? Au nom de l’Etat, dont il est l’incarnation, même s’il n’est, pas encore, élu par les Mauritaniens, dont certains n’ont jamais adhéré à cette politique de «dénégrification», ou au nom de ces racistes, chauvins et zélés, aux mains tachées de sang? On voudrait bien le savoir. Les victimes et les rescapés connaissent leurs bourreaux, les listes des tortionnaires ont circulé sous les boubous, au lendemain de l’arrêt des exactions, juste au début de l’invasion de l’Irak. Les populations de la Vallée ne sont pas rancunières, encore moins revanchardes, elles réclament, tout simplement, la vérité, la justice que leur doit l’Etat. Loin d’elles de s’attaquer ou de stigmatiser toute l’armée qu’elles respectent. Elles veulent être considérées comme des citoyens à part entière, être reconnues comme étant partie intégrante et intégrée de la Mauritanie.
Sous Ould Taya, qui tenait ce langage était traité de raciste, de flamiste et subissait les foudres du régime. Situer les responsabilités ne signifie pas, pour les populations meurtries, envoyer les tortionnaires au poteau, mais aider les Mauritaniens à cohabiter, dans la paix et la tranquillité, aider la Mauritanie à se construire, par l’effort et la sueur de tous ses fils. N’ont-ils pas combattu et fraternisé, ensemble, sous le même drapeau, au Sahara occidental? Leurs ancêtres n’ont-ils pas combattu, ensemble, le colon français? N’ont-ils pas fait le troc de la gomme, du thé, contre le mil? L’incident, mineur, entre un éleveur et un agriculteur, aurait pu, aurait dû, rester un fait divers, comme tant d’autres, si les chauvins qui avaient investi l’appareil sécuritaire de l’époque n’avaient pas attisé la braise. Ils l’ont fait. Pourquoi? Quelle assurance que cela ne se reproduise plus jamais?

Pour une cohabitation apaisée


Le règlement du passif humanitaire, version HCE, est, pour beaucoup, très mal négocié, très mal parti. Trop de plaies restent ouvertes. Le baume HCE pourrait-il les cicatriser ? Nombre d’observateurs en doutent. Sur le chemin de la véritable réconciliation, il y a encore beaucoup d’obstacles. Un vaste champ à défricher. La vallée des larmes traîne, encore, le problème des réfugiés, rapatriés depuis peu, qui continuent, cependant, à vivre dans la plus totale précarité, réfugiés, aujourd’hui, dans leur propre pays. Ceux qui empruntent la route de Kaédi peuvent apercevoir ces espèces de parias, dans leurs tentes ou sous les arbres, et se demandent où est passée l’amélioration de leurs conditions de vie, dont on parle, tant, dans les médias publics. Peut-être de l’autre côté du fleuve?

Autre problème de la vallée : la loi, tacite, de représentativité dans les institutions de la République. Un quota, venu d’on ne sait où, attribue aux Négro-mauritaniens et aux Haratines, une portion congrue : deux à trois ministres, un ou deux ambassadeurs, un ou deux secrétaires généraux, deux Walis, quelques rares hakems et chefs d’arrondissements. Or, faut-il rappeler qu’ils représentent deux tiers de la population mauritanienne? Nombre de ressortissants de la vallée ont cru au changement, avec le premier gouvernement de Sidioca. Ils ont vite déchanté. On se souvient à quelle vitesse Yall Zakaria, alors nommé ministre de l’Intérieur et voulant, manifestement, faire évoluer les choses, a été rappelé à l’ordre, par les nationalistes arabes chauvins. Cette question de représentativité, encore plus aigüe, certainement, pour les Haratines, a été évoquée, lors des journées de concertations de 2005, avant d’être, à nouveau, posée, dans certains ateliers des EGD, organisés, en février dernier, par le HCE. Une participante s’est demandée pourquoi ne nommait-on pas, dans les régions de la Vallée, des walis, hakems et chef d’arrondissements, issus de la communauté négro-africaine.

Il s’ajoute l’épineuse question de l’accès à l’armée. En effet, depuis la publication du fameux document des FLAM, en 1986, les populations noires éprouvent d’énormes difficultés pour accéder à l’armée, à la garde, la gendarmerie, la police ou la douane. Quant au BASEP, pas question, même, d’y penser. Certains chefs de corps auraient donné des ordres, stricts, de ne plus recruter, purement et simplement, les Négro-mauritaniens et les Haratines. Pour résoudre ce point précis, qui assimile la Mauritanie à l’ex-Afrique du Sud de l’apartheid, l’AJD/MR de Ibrahima Sarr avait proposé au général, lors des EGD, l’institution d’un service militaire, obligatoire, pour tous les jeunes mauritaniens âgés d’au moins 18 ans. La requête est restée sans suite.
Les populations de vallée sont également victimes de la spoliation de leurs terres, attribuées, avec la complicité des autorités administratives, aux hommes d’affaires et aux hauts gradés de l’armée. La situation du Trarza est, à cet égard, plus qu’édifiante. Les rapatriés y courent, depuis le début du processus de leur réintégration, derrière leurs terres ou leurs maisons. Le cas de R’Kiz qui a défrayé, récemment, la chronique, est encore là pour rappeler à la dure réalité des populations de la Chémama. Il faut craindre, si ça continue, qu’on se retrouve dans le même cas de figure que le Zimbabwe et le président de COVIRE a, lui-même, émis cette triste hypothèse. L’accès à l’état-civil demeure une autre quadrature du cercle pour les populations de la Vallée. Ici, l’administration fait ce qu’elle veut : rétention, privation, confiscation, combines, excès de zèle, refus sont les lots, presque quotidiens, de celles-ci. Le problème des langues nationales, leurs transcriptions et leur introduction dans le système d’enseignement demeure un handicap pour la construction de l’unité nationale. Comment dans ces conditions, créer ou favoriser une cohabitation, une citoyenneté et/ou un patriotisme au sein de la communauté négro-africaine?


Réconcilier les mauritaniens nécessite, de la part des pouvoirs publics, d’importants efforts, des sacrifices, même. Rétablir un juste équilibre signifie, pour la communauté des maures blancs, un recul certain de leurs privilèges. Il faut organiser un débat franc, dépassionné, sur cette épineuse question, entre l’ensemble des mauritaniens ; il faut entreprendre une véritable action pédagogique. Faire comprendre aux composantes de notre République, qui se vante d’être unie par l’islam, qu’ils sont destinés à vivre ensemble, à s’accepter mutuellement, à partager, réellement, un territoire, des ressources, des richesses, au sein d’une même Nation. Sans cela, sans cette équité si propre à notre foi commune, l’avenir de notre cohabitation ne peut que s’assombrir, inéluctablement.


Dalay Lam

Encadrés

Décompte macabre


Au lendemain des massacres des militaires, beaucoup de chiffres ont circulé dans les rédactions des journaux, aux sièges des ONGs de droits de l’Homme. Certains médias occidentaux parlent, encore, 500 morts. Cependant, selon un officier rescapé, membre du COVIRE, il y eut 3000 interpellations, 500 assassinats et 500 mutilés, entre 1990 et 1991, mais leur identification n’est pas encore achevée. Les rescapés mutilés ont laissé, depuis, 370 veuves. Le nombre d’enfants victimes, directement ou indirectement, du drame, n’est pas, non plus, encore définitivement établi.
Cet ancien officier s’est dit surpris de ne trouver, au niveau de l’armée, aucun chiffre officiel. Il estime que le rapport réalisé par le colonel N’Diaga Dieng est caduc, par ce que celui-ci n’a pu visiter que les sites d’exécution et n’a pas eu accès aux chiffres que les différents états-majors recevaient, quotidiennement à l’époque. Dans son rapport, seules 240 victimes ont été recensées.

Points de divergence


Entre le COVIRE et le gouvernement de Sidioca, qui avaient entamé, ensemble, le règlement du passif humanitaire, il y avait cinq points dits de divergence. Tout d’abord, la nature de la commission. Le COVIRE voulait une commission indépendante, autonome, composée de personnes-ressources, tandis que le gouvernement penchait pour une commission mixte (militaires et civils). Le COVIRE réclamait une commission d’enquête, alors que l’Etat parlait d’investigations administratives. Le COVIRE voulait la désignation, nominative, des tortionnaires, l’Etat n’en voulait surtout pas. Le COVIRE réclamait l’abrogation de la loi d’amnistie de 1993, l’Etat s’y opposait. Enfin, le COVIRE réclamait des réparations, alors que l’Etat penchait pour le seul versement de la diya.
Toujours selon notre rescapé, le COVIRE ne dispose d’aucun chiffre fiable, concernant les victimes civiles, il faudra procéder à un recensement exhaustif. Ces points et six autres portant sur les devoirs de vérité, de justice, de réparation, de mémoire, de réconciliation et de pardon, constituaient la contribution du COVIRE aux journées de concertation, tenues les 20, 21 et 22 novembre 2007. En fin de compte, il suffira, pour mesurer la portée, réelle, du pas dernièrement effectué par le HCE, de noter le rapport suivant : sur les douze points soumis au général Ould Abdel Aziz, peu après sa prise du pouvoir, seuls deux ont été acceptés. Un sixième, moins de 17%... Il reste, donc, pas mal de chemin à accomplir…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vos commentaires et réactions sont bienvenus. Nous vous prions cependant d'éviter insultes et propos contraires à la morale et à la loi. Le Blog se réserve le droit de retirer tout texte enfreignant à ces règles.